SOLLERS Philippe Blog

15 août 2009

Lettre d’amour

Classé sous Non classé — sollers @ 10:2

Chère Isabelle Adjani,

Voilà longtemps que je voulais vous écrire, surtout depuis « la rumeur ». Je me demande combien de personnes ont exactement compris ce qui se passait à ce moment-là. Depuis la sinistre et rampante folie collective d’Orléans (des jeunes filles disparaissent chez des commerçants juifs, on les enlève dans des sous-marins le long de la Loire), on n’avait pas vu pareil montage de cinglerie, avec désir de tuer surgissant de partout. Le moment où, en plein journal télévisé, vous avez choisi de venir dire que vous étiez en bonne santé et vivante restera comme un des grands avertissements de la société du spectacle dans laquelle nous sommes plongés. C’était l’époque, très proche, et qui peut revenir demain, où le vieux fond noir de ce pays remontait à la surface, la vieille chiennerie médiévale de bêtise et d’obscurantisme vous prenant pour cible. Avez-vous toujours su, en interprétant de préférence des rôles proches de la folie, que le magma humain, en lui-même, est fou ? C’est probable, mais votre cas est si exorbitant qu’on devrait l’étudier plan par plan.
 

Votre physique, soit. On a tout dit. Les yeux, la bouche, la moue, la démarche, le bleu, le noir, l’ondulation, les lunettes, etc. Mais cela ne suffit pas à expliquer l’explosion virtuelle que vous êtes. À mon avis, c’est très simple. Il y a en France, deux placards bourrés de dynamite : l’Occupation et la guerre d’Algérie. Or, par extraordinaire, vous êtes née à la jonction exacte de ces deux secrets. Votre mère allemande, votre père algérien, première anomalie flagrante. Vous avez mis longtemps à en parler ouvertement (une autre se serait tue). C’est le moment où les Français découvrent avec stupeur que vous vous appelez aussi Yasmine, et que leur petite Agnès chérie, surdouée de la Comédie-Française, la plus cultivée « classique » de leurs actrices, est une étrangère au milieu d’eux. L’étrangeté, le sexe : il ne manquait plus que la mort. Ça n’a pas raté. Au fond, à leur insu, ils vous ont demandé de devenir immortelle. En un sens, ils y ont réussi. Vous êtes passée « de l’autre côté », en plein mythe actif. 


Ce qui m’intéresse, moi, c’est votre marquage par les écrivains. Molière, Hugo, Jean Rhys, Strindberg, et maintenant Claudel (j’espère que, pour la préparation du film sur Camille, vous avez eu entre les mains les dessins érotiques de Rodin que j’ai publiés l’année dernière). Vous êtes naturellement du côté où les écrivains agissent. Vous passez à travers le cinéma, comme à travers la biologie et l’Histoire, pour être vous-même, vous seule. « J’ai choisi mon père », dites-vous. Mesurez-vous à quel point cette déclaration est étrange ? « Mon père, c’est la personne qui occupe le plus de place dans ma vie, c’est l’amour de ma vie. Mon monologue avec lui, c’est peut-être ma seule identité. » Des phrases comme celles-là, venant de vous, me passionnent. D’ailleurs, tout ce que vous dites est étrangement intéressant. « Je veux qu’on me force à être sublime, sinon je serai bonne. » Ou encore : « C’est un peu comme si je pouvais avoir aujourd’hui la tête qu’avait mon âme. » Vous avez donc choisi votre père contre votre mère, mais au-dessus de votre père et de votre mère – et là est l’admirable scandale – vous avez, mieux qu’aucune Française, pris de l’intérieur le français. « Je récitais des sermons de Bossuet. » Et aussi : « Au lycée, avec des copines, j’ai mis en scène « Les fourberies de Scapin »… C’est moi qui jouais Scapin. Acte I, scène II : «   À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles quand je m’en veux mêler.  » »
 

La plus grande actrice française n’est donc pas française, tout en étant la plus française de toutes ? De « L’école des femmes » à « Camille Claudel », quelle obstination ! Comme j’aime que vous disiez avoir lu les contes de Mme d’Aulnoy (« C’était à la fois féerique et atroce, des mains coupées qui parlent, un mélange de rubans et de sang ») ! Vous poussez le français à sa limite ; ce n’est pas avec vous qu’il va ronronner, s’endormir. Vous le mettez en cure agitée, comme vous-même. Et voyez : il a réagi, le français, les somnambules qui l’habitent sans le connaître ont souhaité passionnément votre disparition. C’est un tour de magie, pas moins. Vous dites : « J’ai l’impression d’un temps égaré. » Oui, oui, c’est le nôtre. Vous dites aussi (et pour cause) que vous êtes attirée par « les femmes doubles, complexes, qui vivent mal leur dualité, qui sont persécutées, perdues ». Vous avez osé être notre exorciste. Les images de vous en Algérie, récemment, visitant les blessés et les torturés de la répression d’État, sont parmi les plus émouvantes. Quel court-circuit dans votre biographie ! De nouveau, on a entendu sur vous l’air de la calomnie : « publicité », etc. Quelle erreur ! Vous ne pouviez pas faire autrement, c’est clair. (Votre mère a bien empêché que votre père soit enterré en Algérie, n’est-ce pas ? Ce père a bien été forcé de dire qu’il avait des « origines turques » ? )  Devant ces jeunes morts, abattus à la mitrailleuse et tabassés dans les commissariats, vous avez senti le malaise, la lâcheté et le refoulement général (octobre 1961, à Paris). Vous avez foncé. Et gagné.
 

Voilà. Continuez à les dominer et à les fasciner. Vous êtes Agnès, Adèle, Julie, Camille : la fille rebelle, celle qui ne se résigne pas. Vous êtes toujours la plus belle, aucune inquiétude à avoir. Votre petit garçon, Barnabé, grandit (j’espère qu’il va bien). Vous allez rejouer l’air de la possession inspirée, enflammée, tordue. Comme d’habitude, vous passez par le mauvais côté des choses et le théâtre de la cruauté, pour faire sentir à quel point l’identité est précieuse, contradictoire, menacée. Les Américains et les Japonais vont penser, une fois de plus : « Quelle Française ! » Les Français, eux, seront de nouveau perturbés et jaloux.
 

Ne faiblissez pas : nous ne sommes plus si nombreux à être de vrais vivants insolites en France. Et, puisque vous lisez des livres, je vous envoie bientôt sur ce sujet, mon prochain roman, c’est promis. Bien à vous. 


Philippe Sollers 
Le Point n°845, du 28 novembre 1988.

8 août 2009

Poussin

Classé sous Non classé — sollers @ 8:2

Nous arrivons maintenant à Nicolas Poussin en faisant, je crois, par rapport aux Vénus italiennes, un pas de plus et tout à fait décisif, extraordinaire, dans la représentation de la sensualité féminine. Celle-ci n’apparaît que très tardivement, je dirais, pratiquement grâce au christianisme, parce que la grande sensualité grecque est oblitérée et copiée de façon un peu rigide par les Romains, et que cela resurgit en plein 17e siècle. 

Je crois que Poussin ajoute quelque chose à l’auto-érotisme de la représentation féminine, avec l’une des plus belles Vénus jamais peintes, peut-être la plus belle, pour moi. Je pense à la volupté d’être soi, ce qui est suffisamment souligné par le linge qui vient légèrement caresser, plutôt que couvrir, la région qui se trouve entre les jambes – de même que vous aviez dans une célèbre « Vénus » de Titien le regard de l’organiste qui va se porter sur cet endroit, cet endroit encore une fois terrifiant pour nos préhistoriques, qui est l’objet de toutes les peurs, de tout le sacré. Là vous avez un engouement pour ce que le petit amour vous indique, et une sorte de volupté totale dans le sommeil. C’est, à mon avis, un tableau de délectation tellement extraordinaire qu’il me semble que toute la peinture française ultérieure en sort, et que ni Watteau, ni même Fragonard, n’atteindront ce niveau. 

Il y a là comme une avance vers ce 19e siècle, ce siècle de Manet et Courbet qui vont faire tellement sensation. Poussin est le géniteur de cette volupté énigmatique, même si l’on considère par ailleurs Vélasquez ou Rubens. Je crois qu’il faut insister sur cette « Vénus », qui traduit si pleinement ce à quoi Goya, Manet, tous, regardez-les, essayent de penser, même Ingres, le vieil Ingres du « Bain Turc ». 

Philippe Sollers
Connaissance des Arts, n°512- Décembre 1994.   

                                                                                                    

Vénus endormie et l'Amour, 1630-33

 

 

 

3 août 2009

Cembalo Mozart

Classé sous Non classé — sollers @ 12:2

Zwei neue Mozart-Werke entdeckt

Durch den wissenschaftlichen Leiter der Stiftung Mozarteum Salzburg, Dr. Ulrich Leisinger, wurden zwei ohne Autorenbezeichnung überlieferte Klavierstücke mit an Sicherheit grenzender Wahrscheinlichkeit als unbekannte Werke des jungen Wolfgang Amadé Mozart identifiziert. Es handelt sich um einen umfangreichen Konzertsatz und ein Präludium, die sich am Ende des sogenannten Nannerl-Notenbuchs befinden, das Leopold Mozart 1759 für seine achtjährige Tochter Maria Anna („Nannerl“) anlegte und das auch für den Klavierunterricht von Wolfgang herangezogen wurde. Das Notenbuch enthält außer Übungsstücken auch die ersten Kompositionen Wolfgang Amadé Mozarts.

Die beiden in der Handschrift Leopold Mozarts überlieferten Klavierstücke galten bisher als anonyme Kompositionen. Sie wurden in der von der Internationalen Stiftung Mozarteum verantworteten Neuen Mozart-Ausgabe zwar im Rahmen der Edition der Notenbücher der Familie Mozart 1982 herausgegeben, aber seinerzeit nicht als Kompositionen des jungen Mozart erkannt. Die neue wissenschaftliche Herleitung von Ulrich Leisinger, die sich auf den Schriftbefund und stilistische Kriterien stützt, belegt mit an Sicherheit grenzender Wahrscheinlichkeit, dass die Stücke vom jungen, im Notenschreiben noch ungeübten Mozart stammen, der seine Werke dem Vater zum Aufschreiben am Klavier vorspielte.

Die erstmalige Aufführung des Werkes inkl. der neuen Orchesterergänzung von Robert D. Levin wird in der Mozartwoche 2010 (22. bis 31. Jänner) stattfinden. Schon immer war es Aufgabe der Internationalen Stiftung Mozarteum, ihre wissenschaftlichen Ergebnisse auch in ihren Konzerten aufzugreifen. Zugleich plant die Stiftung auch die Veröffentlichung des vollständigen Notenmaterials und einer Audioaufnahme der Fassung mit Orchesterergänzung.

Zum Download stehen für private, nicht-kommerzielle Zwecke und zur Berichterstattung folgende Files zur Verfügung:

Vollständiger Pressetext deutsch link

Der siebenjährige Mozart am Klavier (aus D. Barrington, Miscellanies, London 1781) link
Copyright: Internationale Stiftung Mozarteum Salzburg. Abdruck nur in Zusammenhang mit Berichterstattung über die zwei neuen Mozart-Werke!

Klavierstück in G (NMA Nr. 50):

Faksimile der 1. Notenseite link
Notentext (U. Leisinger) link, gleichzeitig mit Aufnahme lesen (NMA Online) link
Audiofile (Florian Birsak, Cembalo) link

Konzertstück in G (NMA Nr. 51):

Faksimile der 1. Notenseite link
Notentext (U. Leisinger) link, gleichzeitig mit Aufnahme lesen (NMA Online) link
Audiofile (Florian Birsak, Cembalo) link

1 août 2009

Femmes

Classé sous Non classé — sollers @ 8:2

Alors, Philippe Sollers. « Femmes » : enfin la vérité sur ces animaux-là ? 

Ph.S. : Ce mot de Femmes est magique. Avec lui nous faisons tout. La mythologie, les rêves, les religions, la publicité – demain j’enlève le bas : mais il restera la Femme ! – et enfin, comme je le démontre, la politique. Sur ce sujet sacré chacun donne sa vraie meure. Ma conviction est que tous les grands tournants de la société humaine passent par une redéfinition toujours scandaleuse de l’image féminine : Madame Bovary, bien sûr, Nana, si vous voulez ; mais aussi, et comment donc, l’Olympia de Manet dont vous savez l’effet mortel qu’elle produisit sur les bourgeois de l’époque. 

Pourquoi vous en prenez-vous aujourd’hui au grand mythe féminin ? 

Ph.S. : Eh bien, nous sommes à une époque où toutes les idéologies, tous les mythes, se sont dissous, seul résiste « la Femme ». Et même en s’amplifiant : depuis vingt ans, partout, à chaque instant, le féminisme triomphe. Il m’a semblé qu’un roman, aujourd’hui, devait décrire ce phénomène sans précédent. 

Vous voulez dire par là qu’on n’a jamais autant aimé les femmes ? 

Ph.S. : Sûrement pas. En revanche, et sur le modèle même des discours interminables sur le prolétariat, écoutez-les, les « femmes en progrès », c’est à croire que plus on les libère, plus elles se plaignent, plus on les met en même temps à la chaîne. Le marché s’en charge, rebondissant grâce à elles au point qu’elles n’ont plus le choix qu’entre le rôle de gadget qui fait vendre et la brutale définition gynécologique. C’est ce drame qui m’intéresse, car j’y vois la nouvelle imposture, souriante, de notre temps. 

Qu’est-ce qu’aimer les femmes ? 

Ph.S. : Dans la vie quotidienne, aimer les femmes, c’est manifester un goût pour la vérité elle-même dans la mesure où elles ne peuvent pas s’empêcher de la dire. Même à leur corps défendant. Ne pas aimer les femmes c’est ne rien vouloir savoir de la mort. Elles me comprendront. 

Et eux ? Et les hommes ? 

Ph.S. : Les pauvres ! La situation est bien plus grave qu’ils ne le croient ! Ils ont déjà remarqué quelque chose, mais ils ont le plus grand mal à se persuader que l’idole de leur enfance, à savoir leur mère… 

… Vous parlez en effet de l’ « effet mère », pas du tout éphémère… 

Ph.S. : Oui, c’est cela… leur mère, donc, qu’ils ont la manie de retrouver partout, sous d’autres formes, est désormais sans aucune profondeur. Sur notre horizon technique, elle est mise à plat. « Eux », ça les déprime. Montrez-moi un homme à l’aise avec les femmes, aujourd’hui : ce serait un miracle ! 

Don Juan, lui, semblait à l’aise. Il n’y a plus de Don Juan ? 

Ph.S. : Vous avez vu comme les feuilletons télévisés nous cachent soigneusement la dimension libertine de Mozart qui a montré ce Don Juan à l’aise ? Les Don Juan à la petite semaine, ceux d’aujourd’hui, laissez-moi rire ! D’ailleurs, elles s’en plaignent ! Ça n’existe plus ! 

Pour vous, « il n’y a que des femmes »… 

Ph.S. : C’est-à-dire qu’il n’y a plus de perspectives. J’insiste : « les hommes ? Écume, faux dirigeants, faux prêtres, penseurs approximatifs, insectes… gestionnaires abusés… Muscles trompeurs, énergie substituée, déléguée… » 

C’est vous le narrateur ? 

Ph.S. : C’est « un journaliste américain de mes amis », qui raconte sa vie à Paris, en Italie, à New York, en Espagne, à Jérusalem… Chaque fois ponctuée de rencontre de femmes. J’ai voulu relier cette « narration de femmes » à un récit général sur la fabrication de l’information aujourd’hui : journaux, télévision, cinéma. 

Y a-t-il des clés dans « Femmes » ? 

Ph.S. : Oui ! Tous les romans intéressants ont des clés ; et s’il n’y en a pas, le lecteur finit par les y mettre lui-même. Toute l’intelligentsia parisienne, milanaise, new-yorkaise des quinze dernières années est dans « Femmes ». 
Femmes. Editions Gallimard, 1983. Folio n°1620.

Propos recueillis par Laurent Dispot.
Playboy, mars 1983.

Mitterrand - Sollers, 1983
 

 

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