SOLLERS Philippe Blog

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30 septembre 2009

2 – Quels sont vos dix livres préférés ?

Classé sous Non classé — sollers @ 18:2

Yannick Haenel
L’Odyssée d’Homère
La Bible (trad. Lemaître de Sacy)
La Divine Comédie de Dante
Les Romans de la Table ronde de Chrétien de Troyes
Pensées de Pascal
Moby Dick de Herman Melville
Ulysse de James Joyce
Illuminations d’Arthur Rimbaud
Les Chants de Maldoror de Lautréamont
Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov
Acheminement vers la parole de Martin Heidegger
Plus un livre de coeur : Les Impardonnables de Cristina Campo 

Régis Jauffret
La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette
Correspondance de Flaubert
Essais de Montaigne
Ulysse de Joyce
La Vie mode d’emploi de G. Perec
Juliette de D.A.F. de Sade
A la recherche du temps perdu de M. Proust
Les Ames mortes de N. Gogol
Le Vice-consul de M. Duras
16, rue d’Avelghem de Xavier Houssin
 
Jonathan Littell
La Folie du jour de Maurice Blanchot
Le Bleu du ciel de Georges Bataille
La trilogie (Molloy, Malone meurt, L’Innommable) de Samuel Beckett
Vie et destin de Vassili Grossman
Un héros de notre temps de Mikhaïl Lermontov
Hadji Mourat de Lev Tolstoï
Bartleby et Moby Dick d’Herman Melville
Récits (tous, impossible d’en choisir un) de Kafka
L’Education sentimentale de Gustave Flaubert
Absalon, Absalon ! de William Faulkner

Catherine Millet

Graziella de Lamartine
Back Street de Fanny Hurst
Le Lys dans la vallée de Balzac
L’Annonce faite à Marie de Claudel
Le Temps retrouvé de Proust
Orlando de Virginia Woolf
Lucien Leuwen de Stendhal
Salammbô de Flaubert
La Joie de Bernanos
Pierre ou les Ambiguïtés de Melville

Patrick Modiano

Tristan et Iseut
Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare
Manon Lescaut de l’abbé Prévost
Les Fleurs du mal de Baudelaire
Crime et châtiment de Dostoïevski
Illusions perdues de Balzac
Les Grandes Espérances de Dickens
La Vie d’Arséniev d’Ivan Bounine
La Montagne magique de Thomas Mann
Au-dessous du volcan de Lowry

Yann Moix

Ulysse de James Joyce
Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet de Charles Péguy
Ferdydurke de Witold Gombrowicz
A la recherche du temps perdu de Marcel Proust
D’un château l’autre de Louis-Ferdinand Céline
Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien d’Alfred Jarry
Soixante Jours de prison de Sacha Guitry
Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud
Etre juif de Benny Lévy
Somme athéologique de Georges Bataille
Journal de Léon Bloy

Marie NDiaye
Le Poème de la montagne et Le Poème de la fin de Marina Tsvétaïeva
Louons maintenant les grands hommes de James Agee
Mon mal vient de plus loin de Flannery O’Connor
Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov
Eux de Joyce Carol Oates
La Femme de Gilles de Madeleine Bourdouxhe
Le Mandat d’Ousmane Sembène
La Pornographie de Witold Gombrowicz
Un amour dangereux de Ben Okri
Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry 

Lydie Salvayre
Mourir m’enrhume d’Eric Chevillard
Le Démarcheur d’Eric Chevillard
Palafox d’Eric Chevillard
Le Caoutchouc décidément d’Eric Chevillard
La Nébuleuse du crabe d’Eric Chevillard
Un fantôme d’Eric Chevillard
L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster d’Eric Chevillard
Les Absences du capitaine Cook d’Eric Chevillard
Du hérisson d’Eric Chevillard
Le Vaillant Petit Tailleur d’Eric Chevillard
Addenda :
Paysage avec palmiers de Bernard Wallet
Dans ma maison sous terre de Chloé Delaume

Jean-Jacques Schuhl
Les Fleurs du mal de Baudelaire
Le Gai Savoir de Nietzsche
Comment j’ai écrit certains de mes livres de Raymond Roussel
Second Manifeste du surréalisme d’André Breton
Journal de Kafka
Lolita de Nabokov
Le Bleu du ciel de Georges Bataille
Voyage au bout de la nuit de Céline
Cantos d’Ezra Pound
Fictions de Borges

Chantal Thomas
Une chambre à soi de Virginia Woolf
Histoire de Juliette de D.A.F. de Sade
Claudine à l’école de Colette
Enfance de Nathalie Sarraute
Lettres de Mme du Deffand
Des arbres à abattre et Une irritation de Thomas Bernhard
Après le tremblement de terre de Haruki Murakami
Grandir de Gilles Leroy
La Chambre claire de Roland Barthes
Le Métier de vivre de Cesare Pavese

Philippe Sollers
Pensées de Pascal
Mémoires de Saint-Simon
Correspondance complète de Voltaire
Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand
Les Fleurs du mal de Baudelaire
Poésies de Lautréamont
Illuminations de Rimbaud
Le Temps retrouvé de Proust
Manifeste du surréalisme de Breton
Féerie pour une autre fois de Céline
 Télérama, le 20 mars 2009

28 septembre 2009

1-Quels sont vos dix livres préférés ?

Classé sous Non classé — sollers @ 17:2

Quels sont vos dix livres préférés ?
C’est la question que nous avons posée à cent écrivains francophones. Pas pour se concocter une liste de chefs-d’œuvre mais pour faire connaissance, par la petite porte, avec ces lectures intimes qui les inspirent.
Télérama, mars 2009

François Bégaudeau
Conformément au calendrier nietzschéen :
An – 216 : Le Misanthrope, de Molière
An – 120 : Le Neveu de Rameau, de Diderot
An – 9 : Une saison en enfer, d’Arthur Rimbaud
(An 0 : Le Gai Savoir, de Nietzsche)
An 47 : Le Bruit et la Fureur, de Faulkner
An 48 : Un certain Plume, d’Henri Michaux
An 52 : Tropique du Cancer, de Henry Miller
An 78 : La Pornographie, de Gombrowicz
An 82 : Les Mots, de Jean-Paul Sartre
An 124 : Ravel, de Jean Echenoz
An 127 : Le Spectateur émancipé, de Jacques Rancière

Frédéric Beigbeder
Le Temps retrouvé, de Marcel Proust
Pan de Knut Hamsun
Nouvelles de J.D. Salinger
A.O. Barnabooth, son journal intime de Valery Larbaud
Gatsby le Magnifique, de Francis Scott Fitzgerald
Les Mots, de Jean-Paul Sartre
Les Contrerimes, de Paul-Jean Toulet
American Psycho, de Bret Easton Ellis
Plateforme, de Michel Houellebecq
Rose poussière, de Jean-Jacques Schuhl 

François Cheng
La poésie des Tang
Le Rêve dans le pavillon rouge, de Cao Xueqin
Le théâtre d’Eschyle
La Bible
La Divine Comédie, de Dante
Le théâtre de Shakespeare
Les Fleurs du mal, de Baudelaire
Les Frères Karamazov, de Dostoïevski
Sonnets à Orphée et Elégies de Duino, de Rilke
A la recherche du temps perdu, de Proust

Catherine Cusset
Jane Eyre de Charlotte Brontë
Les Liaisons dangereuses de Laclos
La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette
Illusions perdues de Balzac
L’Education sentimentale de Flaubert
Belle du Seigneur d’Albert Cohen
Les Frères Karamazov de Dostoïevski
Anna Karénine de Tolstoï
A la recherche du temps perdu de Proust
Orgueil et préjugés de Jane Austen 

Charles Dantzig
A la recherche du temps perdu de Marcel Proust
Edouard II de Christopher Marlowe
Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald
Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa
L’Importance d’être constant d’Oscar Wilde
Pensées de Blaise Pascal
Moralités légendaires de Jules Laforgue
Le Siècle de Louis XIV de Voltaire
Tristes d’Ovide
Vies parallèles de Plutarque 

Marie Darrieussecq
La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette
L’Attrape-Coeurs de J.D. Salinger
Absalon, Absalon ! de Faulkner
Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov
La Trêve de Primo Levi
Orgueil et préjugés de Jane Austen
Paysage lacustre avec Pocahontas d’Arno Schmidt
Les Chants de Maldoror et les poésies de Lautréamont
Correspondance de Flaubert
Thalassa de Sandor Ferenczi 

Chloé Delaume
Rose poussière de Jean-Jacques Schuhl
Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat
L’Ecume des jours de Boris Vian
L’Arve et l’Aume d’Antonin Artaud
Moralités légendaires de Jules Laforgue
Ulysse de James Joyce
Locus Solus de Raymond Roussel
Médée-Matériau de Heiner Müller
Une saison en enfer de Rimbaud
SCUM Manifesto de Valérie Solanas 
  

Alain Fleischer
Les Aventures de Don Quichotte de Cervantès
Robinson Crusoé de Daniel Defoe
La Chartreuse de Parme de Stendhal
De grandes espérances de Charles Dickens
Le Procès de Franz Kafka
Du côté de chez Swann de Marcel Proust
Ulysse de James Joyce
L’Homme sans qualités de Robert Musil
Le Bruit et la Fureur de William Faulkner
Extinction de Thomas Bernhard
  

Philippe Forest
Crainte et tremblement de Kierkegaard
A la recherche du temps perdu de Proust
Ulysse de Joyce
Poèmes choisis de T.S. Eliot
Le Paysan de Paris d’Aragon
Si je t’oublie, Jérusalem et Les Palmiers sauvages de Faulkner
L’Expérience intérieure de Bataille
Arcane 17 de Breton
Paradis de Sollers
Lettres aux années de nostalgie de Kenzaburô Oé 

Jacques Henric
La Divine Comédie de Dante
Béatrix de Balzac
Vie de Henry Brulard de Stendhal
Albertine disparue de Proust
Ulysse de Joyce
Noces de Musil
D’un château l’autre de Céline
Sous le soleil de Satan de Bernanos
Le Bleu du ciel de Bataille
Au-delà du fleuve et sous les arbres de Hemingway 

15 septembre 2009

Quel avenir pour la Littérature ?

Classé sous Non classé — sollers @ 15:2

Le Magazine littéraire : Richard Millet, qu’avez-vous pensé des critiques parfois virulentes qui ont accueilli Désenchantement de la littérature ?

Richard Millet : On a attaqué ce texte de façon unanime, en diabolisant et indexant quelques passages pour les monter en épingle. En réalité, si on le lisait bien, on verrait qu’il s’agit d’un texte d’angoisse, qui se projette dans un avenir assez proche – vingt ans, disons. J’expose mes inquiétudes pour l’avenir de la littérature française, qui me paraît menacée. D’abord parce qu’il y a une déperdition linguistique révélatrice d’une crise extrêmement violente. Ensuite parce qu’il y a une coupure historique entre des écrivains de ma génération (ou celle qui précède) et la nouvelle. Nombre de jeunes écrivains utilisent le roman comme instrument de promotion sociale. Qu’un écrivain ait envie d’être connu et lu, c’est une chose tout à fait légitime. Mais nous avons basculé dans l’ordre de la performance – il n’est plus question de faire une oeuvre ou même de se faire remarquer mais de rentrer dans un processus de starification. Le livre est devenu un produit! À l’époque du XIXe, ce n’était pas le roman qui était un instrument de reconnaissance, mais la poésie, ou le théâtre. Aujourd’hui, c’est le roman qui dévore toute la littérature. C’est pour cela qu’il ne m’intéresse plus – il n’invente plus rien, sauf sa propre perpétuation, illusoire et euphorique.


Et vous, Philippe Sollers, l’accueil de Désenchantement vous a-t-il surpris ?

Philippe Sollers : Je crois que Richard Millet a eu un tort, celui de mêler à ses considérations sur la littérature des idées politiques, et des idées politiquement incorrectes. Elles ont permis à l’opinion, surtout l’opinion militante, se voulant extrêmement engagée, de l’accuser, avec des mots injurieux, d’être révisionniste et d’avoir écrit une immondice ; allant jusqu’à s ‘en prendre aux éditions Gallimard en s’exclamant: « Comment avez-vous pu publier une chose pareille ?! » Cette immédiateté de la réaction inquisitoriale, et je dirais même stalinienne, m’amène à dire que désormais, n’importe quelle interprétation peut avoir lieu sur des motifs « politiques » – je mets des guillemets – où on accuse d’emblée l’autre de racisme, d’ antisémitisme, etc., et je trouve que ça commence à bien faire. Pas vraiment parce que ça m’indigne « personne ne ment davantage qu’un homme indigné », a dit Nietzsche – mais parce qu’il y a une volonté d’éviter le débat de fond, c’est-à-dire ce que Richard Millet voit comme un désenchantement, un effondrement, une dévastation de la littérature, et sur quoi je suis en partie d’accord. Les réponses que j’ai à donner à ce sujet ne sont pas du même ordre, mais il y a débat, et je crois que tout le monde a intérêt à éviter ce débat, parce qu’on parlerait enfin de littérature.

De fait, Richard Miller, dans Désenchantement de la littérature, vous parlez – en mal – de la démocratie ou de thèmes tels que le métissage. Vous n’hésitez pas à clamer : « Faut-il rappeler que la France est non pas un pays métis ni une société multiculturelle, comme voudraient le faire croire diverses incantations, mais une société de race blanche, de culture chrétienne, avec quelques minorités extraeuropéennes ? »

R.M. : Pourquoi ne devrais-je pas parler de démocratie. Henry James, l’un des auteurs que j’admire le plus au monde, s’est interrogé en tant qu’Américain – c’est-à-dire issu du Nouveau Monde – fasciné par l’ancienne Europe, sur cette question. Tocqueville a fait de même, comme tous les grands réactionnaires, c’est-à-dire au fond les gens les plus intéressants pour la pensée, comme l’a avancé Antoine Compagnon dans Les Antimodernes… Est-ce que le nombre, le système démocratique, n’est pas un danger pour la littérature ? C’est une question qui mérite d’être posée ! Quant au métissage, pourquoi emploie-t-on ce mot, qui est une réalité raciale, à propos de la culture ? J’ai été élevé dans un pays, le Liban, où dix-sept confessions religieuses coexistent, où les gens viennent d’Iran, d’Égypte, d’ex-Républiques soviétiques, et j’ai toujours accepté l’écriture comme n’étant ni identitaire, ni monolithique, ni fermée, mais existant au contraire comme un dialogue avec la totalité de ce qui peut-être vu, lu et entendu dans le monde. Cela posé, je ne vois pas pourquoi on m’obligerait à croire dans cette espèce de nouvelle religion qui serait le métissage, avec cette métaphore raciale qui me déplaît, non en tant que telle, mais parce que c’est devenu une idéologie ! Je n’aime pas qu’on me dise ce qu’il faut que je pense, et je ne comprends pas d’où vient cette hystérie dès qu’on emploie le mot « race »… Que faut-il dire ? Ethnie ? Peuple allophone ? Par ailleurs, d’un point de vue historique et sociologique, la grande majorité de la France est blanche et chrétienne, contrairement au Brésil, par exemple. C’est un fait, je ne porte aucun jugement là-dessus, et la preuve en est qu’on parle de « minorités visibles », pas de métissage. J’appelle un chat un chat, je suis clair. On parle de « France métissée », eh bien non, elle n’est pas métissée, ou en tout cas, elle ne l’est pas encore, c’est tout. Voyez-vous, je viens d’une génération qui n’a pas été formée, intellectuellement, par les mots d’ordre et les diktats du politiquement correct, mais par la raison.

Ph.S. : Mais pourquoi posez-vous, cher Richard, que la littérature dépend de la société, de l’état de la société, de l’état de la nation, alors qu’il s’agit de l’aventure parfaitement individuelle, réfractaire, singulière, et qui résiste à tout ?

R.M. : Mais je ne dis pas autre chose !

Ph.S. : Inutile d’en avoir après la société ou la mondialisation, il faut s’accuser soi-même… Arrêtons de nous plaindre et passons à l’attaque !

R.M. : C’est ce que je fais, mais avec d’autres armes que vous.

Ph.S. : Je vais vous citer : « Nous errons sur une terre saccagée, à peine bruissante… » et je vais renverser la proposition, suivant une technique chère à Lautréamont : figurez-vous que je persiste à vivre dans une terre enchantée, très bruissante, habitant réel de mon propre pays et sûrement pas en proie au doute !

De fait lorsqu’on compare ces deux livres en forme d’autoportrait que vous publiez, L’Orient désert pour Richard Millet, et ces Mémoires, pour vous, on voit que si l’un suit un chemin de croix, l’autre est plutôt dans le mouvement perpétuel. Vous n’êtes pas un admirateur de Nietzsche pour rien…

Ph.S. : Dans L’Orient désert, Richard Millet parle avec émotion et souffrance du désastre libanais qu’il connaît bien, sur fond de crise existentielle et amoureuse. Dans mes Mémoires, c’est exactement le contraire. Je parle, à partir de Bordeaux, d’une enfance parfaitement enchantée, que je perpétue dans la littérature avec une apologie amoureuse. Je crois d’ailleurs que la littérature en elle-même, en tant que désir fondamental d’existence exprimé dans le langage, tient absolument dans cette affirmation amoureuse, et voluptueuse. Richard Millet, quant à lui, est un chrétien doloriste. (sourire) Il se trouve dans un entre-deux, un enfer romantique ; c’est un nihiliste qui ne va pas jusqu’au bout du néant. J’en veux pour preuve la façon dont il recourt au « nous » rhétorique, voire même à des notions comme celle de « nation », qui m’est profondément étrangère. Je n’aime pas le mot « national » Parce que c’est un mot qui repose sur des malentendus parfaitement mortifères, y compris le très récent « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ». Richard Millet a tort, à mon avis, de désespérer de ce qui serait la nation, le pays, la langue même. Le problème n’est pas là. Pour moi, la langue française est belle en ceci qu’elle est contradictoire. Il n’y a pas un seul pays qui ait produit une littérature aussi contradictoire, où vous ayez à la fois Claudel et Voltaire, Sade et la marquise de Sévigné. Les autres nations ont des socles : Shakespeare, Goethe, etc. La France est ce pays admirable dont la splendeur tient à la dialectique qui parcourt sa littérature, et elle est en difficulté parce que s’organise une sorte de pensée unique, militante, inquisitoriale. Or vous êtes en danger d’existence lorsque vous n’êtes plus dans des contradictions. Il faut les affirmer.

R.M. : Il me semble néanmoins que, par exemple, sur la question de l’enseignement qui ne transmet plus …

Ph.S. : Excusez-moi, mais je n’ai jamais appris à écrire dans l’enseignement ! ou alors ça voudrait dire que les gens sont élevés pour devenir écrivains. C’est le contraire. Ils sont élevés depuis toujours pour ne pas devenir écrivains. Puis vous savez, très franchement, je n’ai jamais rien appris de l’enseignement, alors qu’il était encore très respectable dans ma jeunesse. Et je crois que c’est une illusion totale de croire qu’un écrivain vient de l’enseignement. Il vient de lui-même.

R.M. : Bien sûr. Seulement je ne parle pas des écrivains mais des lecteurs, de la menace qui pèse sur le lectorat du fait de l’absence de transmission.

Ph.S. : La littérature a toujours été très peu lue. C’est comme pour l’art. Quand Cézanne dit que l’art s’adresse à un nombre excessivement restreint d’individus, il énonce une vérité profonde. La littérature, comme toute forme d’art, n’est jamais attendue, jamais voulue, jamais accepté sur le moment.

R.M. : Vous sous-entendez qu’on ne lit pas ; moi je me demande si dans vingt ans, on saura encore lire… Qui sait si le corpus contradictoire et magnifique que vous évoquez ne sera pas évacué ? C’est ce que j’a constaté, ayant enseigné en collège durant des années. Il n’y a plus grand référent littéraire. Je n’ai jamais cru en un ressourcement dans le passé ; en revanche, je crois à la contemporanéité du passé. J’ai toujours pensé qu’Homère, Dante, Montaigne, Pascal, étaient nos contemporains véritables beaucoup plus que certains « contemporains » au sens strict du terme. Ce qui e dessine peu à peu, dans la non-transmission, c’est que les écrivains d’aujourd’hui n’ont plus c dialogue avec cette contemporanéité. On prétend tout inventer – quelle illusion ! Peut-être la crise est-elle passagère. Il y a eu à la fin du XVIIIe siècle une crise de la poésie telle que pendant cent ans, il n’y a pas eu de poésie, rien entre La Fontaine et Chénier. J’espère que ce qu’on travers est du même ordre, mais de fait, ce que je lis dans la jeune littérature me semble indigent, stylistiquement, intellectuellement, référentiellement, spirituellement.

Pour vous, Richard Millet, un écrivain d’aujourd’hui ne peut être à la fois sous la lumière des projecteurs, et dans le même temps construire une œuvre. Vous pensez que l’écrivain doit être dans une solitude essentielle, tandis que vous, Philippe Sollers, vous n’hésitez pas à utiliser les médias, suivant une stratégie que vous qualifiez de guerrière…

Ph.S. : Pensez à l’esprit des Lumières. Vous n’allez pas me dire que les Lumières se cachaient, sauf ce magnifique fou qu’a été Rousseau, reclus dans sa barque ? S’ils en avaient eu la possibilité, Voltaire et Diderot seraient allés à la télévision pour transmettre leur pensée, quand bien même peu de personnes seraient à même de la saisir ! Dans une émission où il y a, disons, deux millions de spectateurs, je cible les dix mille, ou les deux mille, ou peut-être même la dizaine qui va écouter un propos. Je ne crois pas aux grands silencieux… Hommage du vice à la vertu, n’est-ce pas. (Sourire) C’est d’une hypocrisie glaçante, ou du moins, c’est comme ça que je le ressens.

Pour autant Richard Millet, je ne pense pas que vous alliez rejoindre la stratégie guerrière de Philippe Sollers.

Ph.S. : Non, parce que ça ne lui convient pas !

R.M. : Voilà. IL y a d’autres manières de faire la guerre.

Alors quelle est votre manière de faire la guerre ?

R.M. : J’écris. (Silence). C’est tout.

Vous écrivez et dénoncez ce que vous nommez un « post-humanisme »…

R.M. : Je pense que la période des grands référents gréco-latins – médiévaux aussi, si vous rajoutez Dante et quelques autres – est morte. Or, à partir du moment où vous coupez une culture de sa source, où vous coupez une langue de son référent étymologique sensible, un gouffre s’ouvre. Corneille, Racine, sont aujourd’hui illisibles dans les banlieues ! Je ne parle pas de l’intelligence des élèves, mais du fait que la France a abandonné son héritage en termes de langue et de culture. Dès lors, vous sortez de la verticalité, et vous entrez dans l’horizontalité. Le refus des Humanités, l’affaissement de la syntaxe est, comme disait Orwell, un signe d’ affaissement politique ; d’où l’aplatissement des valeurs, leur confusion, l’évacuation programmée de la littérature…

Ph.S. : Mais non… Vous dites que nous sommes des héritiers sans descendance, que nous sommes seuls, que nous ne sommes pas de vrais pères ? Eh bien, si ! Nous n’avons plus d’autorité sur la langue, nous n’avons plus d’autorité sue la jeunesse, il n’y a plus de hiérarchie des valeurs ? Bien sûr que si ! Nos écrits sont probablement voués à l’oubli ? Pas du tout ! L’Université ne nous sauvera pas ? Mais si, ou du moins ce qu’il en reste ! Vous parlez d’effondrement, je vous rétorquerai que cet effondrement sert nos plans. Vous citez dans votre livre Heidegger – ce qui est courageux – et vous avez raison. Je le citerai à mon tour : « Là où le péril croît, croît aussi ce qui sauve. » L’ouverture du passé – et non le retour vers – l’ouverture du passé vers le présent et l’avenir n’a jamais été aussi grande. Évidemment, il faut une focale plus large, un système nerveux étendu pour s’en apercevoir, mais personne n’a eu une possibilité telle de faire la verticale dans le temps. Tout est à notre disposition, et personne ne sait quoi en faire, voilà le paradoxe.

R.M. : Je dirai même que personne ne veut rien en faire !

Ph.S. : Bien sûr, il reste qu’il y a un danger réel qui tient à des mutations technologiques extraordinairement puissantes. Les conséquences directes font que l’être humain est neurologiquement astreint à ne plus faire ni l’effort de mémorisation des connaissances, ni même celui de la lecture. Si bien que nous affrontons une mutation Technique avec un grand T, pas seulement technologique… C’es là le fond du débat, car un écrivain, c’est d’abord un lecteur, un lecteur permanent, un lecteur essentiel. Écrire et lire, c’est la même chose.

R.M. : La situation est alarmante, vous le dites à votre façon, je la dis à la mienne ; mais c’est sur ce fond-là qu’il faut s’affirmer. Cela dit, je précise que je n’aurais pas écrit Désenchantement de la littérature si je n’avais aucun espoir ; C’était pour moi une manière d’activer la négativité pour entrer dans un processus dialectique… Mais j’ai envie d’entendre chanter des voix, je crois qu’il y en a, et je les attends.

 

Richard Millet, L’Orient désert. Éd. Mercure de France, 2007.
Désenchantement de la littérature. Éd. Gallimard, 2007.


Philippe Sollers
, Un vrai roman, Mémoires. Éd. Plon, 2007.
Guerres secrètes. Éd Carnets Nord, 2007.

Propos recueillis par Minh Tran Huy
Le Magazine littéraire N° 470, Décembre 2007.

6 septembre 2009

« Je ne suis pas un saint. »

Classé sous Non classé — sollers @ 18:2

Malaise 

Soyons sérieux : Nicolas Sarkozy m’inquiète. Ce « malaise vagal » au cœur de l’été, ce Président sportif qui s’effondre brusquement en plein footing, ce bref séjour au Val-de-Grâce, cette retraite discrète au cap Nègre, tout cela m’obsède. Que ferait la France, grands dieux, sans Sarkozy ? Est-il au moins bien soigné ? Son alimentation est-elle suffisante ? Son programme de rattrapage culturel, accéléré par Carla, ne le fatigue-t-il pas trop ? Lire Sartre, c’est bien, mais un hebdomadaire vient d’annoncer le retour de Marx, et le Président qui, ne l’oublions pas, est « de gauche », a décidé, paraît-il, de lire enfin, en profondeur, Le Capital. Je jette un coup d’œil sur l’agenda présidentiel : c’est un emploi du temps infernal, une usure de tous les moments, un stress qui peut conduire tout droit à un nouveau malaise. Il serait alors une proie pour le virus de la grippe qui se rapproche inéluctablement de nous. Je tremble.

Quelle injustice, aussi, quand on voit la forme insolente de Berlusconi entouré de ses « escort girls » ! Il pète de santé, ce brave homme, il vient d’être pourtant grand-père pour la cinquième fois, mais rien ne l’arrête, et la cabale des dévots contre lui, qu’ils soient de gauche ou de tradition catholique, n’a l’air de lui faire ni chaud ni froid. C’est le moins hypocrite des leaders politiques, et un homme attaqué par sa femme, et une de ses filles qui vient d’accoucher, ne peut pas être foncièrement mauvais. Il a d’ailleurs eu cette formule sublime : « Je ne suis pas un saint. » Le peuple italien apprécie cette modestie bonhomme et ronde qui fait merveille dans les photos où il est entouré de chefs d’Etat. Il est le seul ayant l’air de s’amuser, peu importent les catastrophes.

Mais que va devenir Obama dans sa zone de turbulences ? Son programme de santé publique soulève des injures caricaturales, on le voit sur des affiches représenté en Hitler et accusé de vouloir instaurer le socialisme aux Etats-Unis. Les Américains ont de grandes dispositions pour la folie, comme le prouve le deuil très agité autour de Michael Jackson. Et puis ce président noir qui veut s’en prendre aux tortures perpétrées par la CIA, n‘est-ce pas imprudent ? Le sénateur Ted Kennedy vient de mourir, et il faut fermement déconseiller à Obama d’aller faire un tour à Dallas. Un cinglé manipulé pourrait s’imaginer qu’en tirant sur lui il élimine Hitler.

Socialistes

Le Parti socialiste est-il mort ? En réanimation ? En décomposition lente et tragique ? Doit-il changer de nom ? BHL l’a dit dans un article qui lui a valu, de la part de Marylise Lebranchu, l’épithète de « nietzschéen mortifère ». Pour un fervent admirateur d’Emmanuel Levinas, le coup est rude. Comme on voit, si Marx revient, Nietzsche est toujours dans la course. Le mot « socialiste », il est vrai, n’est plus très clair, et un autre concept vient d’apparaître : tout ce qui est social doit être défini comme « sociétal ». Pourquoi pas, alors, « Parti sociétaliste » ? Pourquoi pas un vaste regroupement sociétal de Lille à Biarritz, de Marseille à Brest ?  C’est là où des primaires démocratiques sont nécessaires. Qui sera nominé ?  DSK, sans doute, il a le profil. Mais n’oublions pas trop vite Ségolène Royal, dont un reportage, dans Paris Match, nous montre la radieuse silhouette sur un quai de gare, à Saintes, en train de raccompagner son compagnon d’amour. Mutine, souriante, complice, enfin heureuse, elle lui pointe un doigt sur le nombril, tendresse sociétale du geste, air vaguement inquiet de son partenaire, mais émotion garantie chez tous les votants sociétalistes de cœur.

Grippe 

La montée en puissance de Roselyne Bachelot me paraît fatale. Voilà une femme qui n’a rien à voir avec un nietzschéisme quelconque, et surtout pas mortifère. Elle vous soigne déjà, pauvres grippés du futur, c’est votre infirmière tenace et maternelle, elle n’a pas d’homme visible auprès d’elle, sa carrière tout en douceur ne fait que commencer, c’est elle la star sociétale de base. Écoutez ses conseils : lavez-vous les mains, portez votre masque, évitez d’éternuer sur vos voisins, n’embrassez plus personne, surtout pas dans les bureaux, dans les rues, et même chez vous. Le mois de septembre s’annonce terrible. Soyez soupçonneux, disciplinés, craintifs, allez aux toilettes toutes les dix minutes, sachez discerner les infectés potentiels, le virus tourbillonne déjà dans l’air, vorace, invisible, sans aucune pitié. Mais rassurez-vous : Bachelot veille, elle voit la vie du bon côté, en rose, vous lui devrez peut-être la vie ou celle de vos enfants. À partir de là, pourquoi pas Bachelot Présidente ? Ce serait la surprise des prochaines années sociétales, écologiques, centristes, centrales, portées par un vaste mouvement de prophylaxie morale. Le préservatif, c’était bien, le masque, c’est mieux.

Bonus 

Les banquiers vous racontent n’importe quoi, comme d’habitude : la crise existe, soit, mais elle est déjà surmontée, puisque toutes les vieilles pratiques du capitalisme financier sont plus fortes que la fumée dont elles s’entourent. J’apprends que l’escroc mondial Madoff, aujourd’hui en prison, aurait un cancer. Est-ce la preuve que Dieu existe (il revient très fort aussi, celui-là) ?  C’est possible, mais, là, le vertige me reprend, les talibans m’assiègent, l’Iran me perturbe, la pauvre Clotilde Reiss demande pardon pour avoir pris des photos de manifestations, le Proche-Orient est au point mort, une jeune Soudanaise risque quarante coups de fouet pour avoir osé porter un pantalon, la belle Birmane démocrate est toujours en résidence surveillée, Johnny Hallyday, heureusement, se porte comme un charme. Enfin, espérons que Sarkozy (toujours lui) convaincra les banquiers d’être moins voyants dans la paupérisation montante. Nietzsche a écrit Par-delà le bien et le mal, mais plus personne ne le lit. Une version contraire s’impose, sous un nouveau titre : Par-delà le bonus et le malus, préface et notes sociétales des traders de la Société générale.

Philippe Sollers
Le Journal du mois

Le Journal du Dimanche n° 3268 du dimanche 30 août 2009.

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