SOLLERS Philippe Blog

30 mai 2014

Recherche Céleste

Classé sous Non classé — sollers @ 12:2

Vous êtes sûrs de connaître Proust, «A la Recherche du temps perdu» n’a pas de secrets pour vous. Proust, voyons, c’est évident, Albertine, Charlus, Combray, Balbec, Sodome, Gomorrhe, on peut réciter ça par coeur. Tout le monde sait de quoi il s’agit, mais c’est là que la moindre vérification concrète devient pénible et comique.

Monsieur Proust, lui, reste inconnu, et pourtant le voici, cet animal de légende. Un ange l’accompagnait, jour et nuit, dans sa vie. C’est une paysanne inculte de 22 ans qui s’appelle Céleste. Son prénom la contient. Son témoignage, à l’âge de 82 ans, est bouleversant de vérité. Proust, figurez-vous, était un saint très bizarre. Céleste est à ses côtés de 1914 à 1922, elle s’occupe de tout jusqu’à l’épuisement, lui ferme les yeux à sa mort, rentre ensuite dans un grand silence. Enfin, elle parle au début des années 1970. Voici son témoignage republié. Non, vous ne savez rien de Proust. Elle, oui. Elle sent la moindre chose, elle est d’un dévouement et d’une pureté ahurissante, elle ne comprend rien, mais elle comprend beaucoup mieux que ceux ou celles qui comprennent mal.

Soyons clairs : Monsieur Proust est un tyran épouvantable. Il faut attendre ses coups de sonnette pour se présenter à lui, vivre la nuit plutôt que le jour, l’attendre, à 3 heures du matin en écoutant l’ascenseur (il n’a pas de clés sur lui), lui porter son café du matin à 6 heures de l’après-midi, bref vivre à l’envers des habitudes courantes. Que fait-il dans sa chambre froide aux rideaux toujours fermés et placardée de liège pour éviter le bruit? Il écrit, il écrit, il écrit. Eh bien, que voulez-vous, ce bourreau est adorable. Un petit geste de la main, un bout de papier avec instruction pratique, un sourire, et Céleste plane, court, vole porter du courrier ou téléphoner. Elle rencontre parfois son mari, Odilon, toujours prêt, avec son taxi, à conduire Monsieur Proust vers ses aventures nocturnes (dîner au Ritz ou bordel pour hommes). Ça dure parfois des heures, le taxi attend. Céleste a des mots incroyables : « Je me moquais bien de vivre dans la nuit. Quand il rentrait, on aurait dit toute la gaieté du jour qui se levait. » Et puis, surtout, il raconte sa soirée, il s’échauffe, improvise, se prépare à écrire: « Il se renvoyait la balle sur moi

Elle est morte de fatigue, Céleste, mais jamais d’ennui. L’existence est réglée comme du papier à musique, c’est la guerre des mots contre le somnambulisme généralisé. Elle accomplit son épuisant service «en chantant, dans une espèce d’allégresse, comme un oiseau qui s’envole d’une branche à l’autre».

Monsieur Proust a raison, il a ses raisons, il a toujours raison, c’est un appareil de haute précision à qui rien n’échappe. Céleste dit l’essentiel : « Il s’est mis hors du temps pour le retrouver.» De temps en temps, ce vampire nocturne se moque un peu d’elle, lui conseille d’écrire son Journal, et l’assure que celui-ci se vendrait mieux, dans l’avenir, que ses propres livres. Naïvement, puisque c’est un grand seigneur, un duc, un sultan, un roi, elle lui demande pourquoi il ne s’est jamais marié. Réponse : « Il aurait fallu une femme qui me comprît. Et comme je n’en connais qu’une au monde, il n’y a que vous que j’aurais pu épouser. »

Céleste, bien entendu, c’est maman, peut-être en mieux, d’ailleurs, puisque « je suis marié avec mon oeuvre». Plus drôle : Céleste, en entendant Monsieur Proust évoquer l’harmonie qui régnait entre ses parents, lui pose la question de savoir s’il met une différence entre un amour platonique et un amour charnel. «Il m’a scrutée des yeux, puis il a répondu : « Je ne sais pas ce que vous voulez dire ».» Céleste ajoute : « Ce qu’il y avait de beau avec lui, c’était qu’il y avait des instants où je me sentais comme sa mère, et d’autres comme son enfant.»

Drôle d’inceste, platoniquement très bizarre. Cela dit, ce père-enfant sort trop, va dans des mauvais lieux, et raconte à Céleste, le plus naturellement du monde, une scène de flagellation dans le bordel de Le Cuziat, «ce monstre», s’exclame-t-elle. Mais enfin, Monsieur, pourquoi faites-vous ça? Répétitions lapidaires de Proust: « J’en ai besoin », « Il le faut », « Le temps me presse ». Des détails, encore des détails, toujours des détails. « Il suivait tout, dans les journaux : la politique, la Bourse, les arts, la littérature.» La boucherie de 1914-1918 ? « Si l’Allemagne et la France s’entendaient, l’Europe serait en paix pour des siècles.» Dans la guerre que mène Monsieur Proust, le courrier occupe une place stratégique constante. « Il fallait voir la jouissance qu’il éprouvait à me lire les lettres de Montesquiou et ses réponses ! Il me disait : « Ecoutez bien, Céleste. Je vais vous lire le passage qui compte. Entre chaque mot vous verrez respirer la haine du bonhomme. Il est magnifique ! » Et il riait tant qu’il pouvait.»

Ils rient beaucoup, ces deux-là. Ainsi, quand Gide vient s’excuser du refus de la « Recherche » par la NRF, Céleste trouve qu’il « a des airs de faux moine ». Proust part d’un « fou rire extraordinaire », et le surnom restera à Gide. Céleste a ses jugements : Cocteau est un « polichinelle », et seuls (ou presque) Jacques Rivière et Morand trouvent grâce à ses yeux.

Ce qui l’impressionne le plus, c’est la vitesse d’écriture de ce grand malade (elle peut déchiffrer sa graphie à l’envers). Le lit est couvert de papiers qu’il faut récolter, coller, reclasser. Un matin, Proust lui dit qu’il a mis le mot « fin » : « Maintenant, je peux mourir.»

Céleste : « Du jour où la maladie s’est aggravée dans son pauvre corps usé, je n’ai plus fermé l’oeil. Quand on m’a dit ensuite que, pendant sept semaines, je ne m’étais pas couchée du tout, j’ai répondu que je ne le savais pas, et c’était vrai: je ne m’en étais pas aperçue. Pour moi, c’était tout naturel: il souffrait, je n’avais qu’une idée, faire tout ce qu’il demandait et qui pouvait soulager un peu sa souffrance. [...] Je me serais brûlé les ongles plutôt que de ne pas le satisfaire.»

Monsieur Proust ne dort plus et ne s’alimente plus. Il refuse les médecins, il pense que sa mort n’appartient qu’à lui. «Il était le seul à avoir de l’autorité sur lui-même.» J’aime que Céleste ait dit : « Il avait cette suprême élégance d’être ce qu’il était, simplement

 

Céleste Albaret, Monsieur Proust. Souvenirs recueillis par Georges Belmont. Editions Robert Laffont, «Documento», 2014.

Philippe Sollers
Le nouvel observateur n°2581, 24 avril 2014.

 

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29 mai 2014

Marcelin, Dominique, Julia

Classé sous Non classé — sollers @ 12:2

Marcelin Pleynet :

 

Dominique Rolin :

 

Julia Kristeva :

 

 

 

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27 mai 2014

Se Foutre Carrément De Tout

Classé sous Non classé — sollers @ 12:2

L’ancien président de la République française, un peu plus cultivé, grâce à son épouse, que le président actuel, qui perd trop de temps à lire des publicités pour scooters, nous a surpris au moins deux fois. La première en bousculant «la Princesse de Clèves», qu’il considérait comme une chanteuse de troisième ordre, la deuxième en s’en prenant avec violence à «la Chartreuse de Parme». Je le cite (propos publié par «le Monde» le 23 mars 2012) : « Fabrice del Dongo est un petit con, qui passe à côté de Waterloo et de sa tante, et qui ne reconnaît même pas Napoléon quand il le croise. »

Ces jugements lui ont-ils été inspirés par le maurrassien Buisson? En tout cas, en lisant ces lignes, Stendhal aurait aussitôt provoqué Sarkozy en duel. Raison de plus pour ouvrir les trois volumes en Pléiade de ses œuvres romanesques complètes, la première édition à proposer l’ensemble des textes dans l’ordre chronologique de leur création. Allez, pauvre président enregistré à son insu (comme le pape) par son majordome, encore un effort pour revenir à la raison. C’est Balzac lui-même qui vous le demande : « M. Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre. Il a produit, à l’âge où les hommes trouvent rarement des sujets grandioses et après avoir écrit une vingtaine de volumes extrêmement spirituels, une oeuvre qui ne peut être appréciée que par les âmes et par les gens vraiment supérieurs.» Balzac était-il un con ? Pas qu’on sache.

Il n’en reste pas moins que Balzac ne semble pas s’être aperçu de la parution antérieure du «Rouge et le Noir», et qu’il continue à appeler Stendhal «M. Beyle». Son article célèbre et généreux de l’époque sur «la Chartreuse» (sans lui, censure complète de la critique littéraire) est remarquable, mais souvent à côté de la plaque. Quelle idée de demander à l’auteur de supprimer le début en fanfare qui devrait résonner dans toutes les mémoires de l’Hexagone : « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. » Le Mali, c’est bien, Milan c’est mieux.

Bizarre époque que la nôtre : Hollande ne lit aucun livre, Sarkozy est jaloux de Stendhal, et Jospin se fâche contre Napoléon. En 1796, Stendhal a 13 ans, il étouffe en province, il envahit l’Italie par l’imagination, il va la conquérir intérieurement par l’amour et la littérature. Waterloo? C’est la fin du grand rêve héroïque, après lequel viendra «l’éteignoir» (nous y sommes). Cependant, Fabrice et sa tante, la merveilleuse Sanseverina, inventent une féerie pour toujours. Le 4 novembre 1838, à 55 ans, donc, Stendhal se cloître dans un appartement, au 8 de la rue de Caumartin. Et, là, miracle : il écrit la «la Chartreuse» en cinquante-trois jours, ou, plutôt, il la dicte (« J’improvisais en dictant, je ne savais jamais en dictant un chapitre ce qui arriverait au chapitre suivant »). Les besogneux n’aiment pas Stendhal, les ordinateurs non plus.

Tout est vibrant, imprévu, coudé, erratique, et on a l’impression que l’auteur s’est appliqué à lui-même la formule militaire de Napoléon : « On s’engage et puis on voit.» A Waterloo, ce sublime «petit con» va et vient sans rien comprendre, c’est justement ça qui est fort. Quant à sa tante Gina, qui l’adore, une note de l’éditeur nous prévient : « C’est ici que Stendhal va le plus loin pour manifester le caractère puissamment érotique de Fabrice pour Gina, et ses orgasmes de substitution dans ses entretiens avec lui. » Moralité : Sarkozy ne comprend rien à la jouissance des Italiennes.

Laissons parler Gina : « Le comte Mosca a du génie, tout le monde le dit, et je le crois, de plus il est mon amant. Mais quand je suis avec Fabrice et que rien ne le contrarie, qu’il peut me dire tout ce qu’il pense, je n’ai plus de jugement, je n’ai plus la conscience du moi humain pour porter un jugement de son mérite, je suis dans le ciel avec lui, et quand il me quitte, je suis morte de fatigue et incapable de tout, excepté de me dire : c’est un Dieu pour moi, et il n’est qu’ami. »

Stendhal, en incestueux discret, sait que le regard et la parole peuvent faire l’amour sans le lourd appareil du corps (le sien ne lui convient pas). Mieux: il va jusqu’à mêler à ses emportements une électricité religieuse. Avec Clélia, par exemple, mais aussi avec Gina. Voyez Fabrice : « Son caractère profondément religieux et enthousiaste prit le dessus. Il avait des visions. Il lui semblait que la Madone, sollicitée par sa tante Gina, daignait lui apparaître et venir à son secours. Il croyait que sa tante lui tendait les bras et l’embrassait pendant son sommeil. » Faut-il insister sur l’amour du jeune Stendhal pour sa mère? Je ne crois pas.

Il ne fait pas qu’écrire et dicter, Stendhal, il vit et aime comme il écrit, sans cesse. Il est entouré de signaux, de présages, le cryptage n’a pas de secrets pour lui. Il se parle à lui-même, et se donne des conseils : «brillanter le style», « je donne du nombre, de la tranquillité, des détails, du style ». Il s’interpelle en anglais, raffole de l’italien, possède le français comme personne. Il finit par se dire : « Aimes-tu mieux avoir eu trois femmes ou avoir fait ce roman ? » Étrange question, mais cette «Chartreuse de Charme» mérite bien mille et trois femmes, au moins.

Nous sommes loin de la vie littéraire de 1842 ou de celle d’aujourd’hui. Pour Stendhal, la vie littéraire est «misérable», « elle réveille les instincts les plus méprisables de notre nature et les plus fertiles en petits malheurs ». Ce qu’il poursuit est tout autre chose, une surexistence libre, instantanée, musicale, mobile, en couleur.

Il n’espère plus rien de la politique et de la foule, mais seulement des «happy few», des «heureux peu nombreux» (il y en a peut-être qui respirent encore). L’hypocrite Aragon ne manquera pas de juger dérisoire cet appel, en précisant que Stendhal aurait dû se préoccuper de la «unhappy crowd», de la «foule malheureuse».

Stendhal est un déserteur de la vie sociale, c’est-à-dire de l’ennui. Autre devise : «Intelligenti pauca», « peu de mots suffisent à ceux qui comprennent ». Et enfin, pour finir en vrai «Milanais» irrécupérable: « SFCDT », « Se Foutre Carrément De Tout ». C’est ainsi, avec insolence, qu’en pleine décomposition générale il fait son retour illuminé parmi nous.

 

Stendhal, Œuvres romanesques complètes, tome III, édition établie par Yves Ansel, Philippe Berthier, Xavier Bourdenet et Serge Linkès, Gallimard, La Pléiade, 1520 p., 67,50 euros

Philippe Sollers
le Nouvel Observateur n°2577, 27 mars 2014.

 

 

 

 

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25 mai 2014

Nuit rêvée

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