SOLLERS Philippe Blog

17 juin 2012

Comment, vous n’êtes pas connecté ?

Classé sous Non classé — sollers @ 12:2

Normalitude

François Hollande était normal, soit, mais en quelques jours, avec une rapidité foudroyante, il est passé de normal à normal supérieur. Les forces de l’Esprit ont fondu sur lui comme sur un cardinal devenant pape. La République aussi a ses mystères, surtout la Troisième, qui, à travers ce faux mou, vient de se réinstaller chez elle, après bien des péripéties. Pas besoin de Quatrième, de Cinquième, voire de Sixième. La Troisième est l’état normal de l’Hexagone normal dans un monde de plus en plus anormal. Tout le monde s’est trompé : c’est un vrai dur, Hollande, il peut tenir bon sous une pluie battante, supporter sans ciller la foudre sur son avion, embrasser Angela Merkel comme la charcutière du coin, épater Obama, séduire le G8 et l’Otan, enlever sa cravate, remettre sa cravate, boutonner impeccablement son veston.

La normalitude vient de loin, des heures et des heures de patience, de rages rentrées, de louvoiements, de compromis sans lâcher la corde. Jules Ferry, Jules Grévy, Marie Curie, ombres tutélaires, voyez l’ascension de ce petit homme vif, spirituel, sec sous son enveloppe trompeuse : c’est la France. Et la France enfin paritaire, avec des prénoms de femmes qui font rêver, Najat (irradiante), Marisol (prometteuse), Fleur (énigmatique), Aurélie (combattante). Le mariage gay, l’adoption d’enfants par des couples du même sexe ? Normal. Le perchoir de l’Assemblée nationale à Ségolène Royal ? Normal. La Justice incarnée par la souriante Taubira ? Normal. La sobriété, la baisse des rémunérations du Président et des ministres ? Normal. L’école placée au premier plan de la République des professeurs ?

Normal, normal, normal. Ah, bien sûr, je vois des insatisfaits de toujours, ennemis de la République, qui trouvent que tout cela manque de romantisme. Mais il est important de vérifier à quel point la fonction peut créer l’organe. Qui aurait cru que la France s’appellerait un jour Hollande, un nom qui résonne comme la normalité absolue ? Dans les tempêtes qui s’annoncent, l’autorité du normal peut s’avérer décisive sur une planète folle. Comme le dit Laozi, ce Corrézien chinois méconnu : « Qui connaît la norme constante est éclairé, qui l’ignore est aveuglé. L’aveuglement attire le malheur. Connaître la norme constante, c’est tout accueillir ; qui tout accueille est universel. »

Cri

On a du mal à croire à la crise, quand on voit le prix atteint par un tableau du peintre norvégien Edvard Munch : Le Cri. Chez Sotheby’s, à New York, au milieu des smokings et des robes longues, ce cri effrayant et célèbre est devenu l’oeuvre d’art la plus chère jamais adjugée aux enchères : 90 millions d’euros. En une soirée, Sotheby’s a raflé 200 millions d’euros, montant le plus élevé atteint par l’entreprise dans cette catégorie. Les acheteurs restent anonymes, mais les milliardaires russes ou arabes du Golfe sont soupçonnés. L’émir du Qatar aurait déboursé 200 millions d’euros pour Les Joueurs de cartes de Cézanne, mais rien n’est sûr. Vous me direz que Le Cri de Munch (tableau au demeurant détestable) devrait maintenant s’appeler Épouvante d’un Grec. Ah, c’est sûr, Munch n’est pas Fragonard ! Mais son prix, dans les circonstances actuelles, est normal.

Crise

Normal pourrait être un bon titre de roman fantastique. J’y pense. Le narrateur pourrait s’appeler Descartes, René Descartes. Il observerait avec intérêt l’entrée en Bourse, plutôt ratée, de Facebook, 901 millions d’internautes dans le monde (qui en compte déjà, mais ce n’est qu’un début, 2,3milliards). Ce Mark Zuckerberg, 28 ans aujourd’hui, 19 ans lors de son coup de poker génial, a l’air tout à fait normal. Il garde son look d’étudiant prolongé à capuche, et, comme le dit le New York Times, « la capuche, c’est exactement le contraire de la cravate Hermès… Ça veut dire “ je suis trop occupé à faire des choses vraiment très importantes pour le reste du monde pour me préoccuper de mon apparence.” » L’ambition de Facebook ?  » Connecter le monde entier. » C’est en bonne voie, mais il reste beaucoup à faire, notamment en Chine. D’un trombinoscope en ligne, Facebook est devenu l’identité numérique de près d’un milliard de personnes, portrait évolutif de l’activité sociale de ses utilisateurs. Comment, vous n’êtes pas connecté ? Et vous prétendez exister ?

Cinéma

Vous ne bloguez pas, vous ne tweetez pas, vous n’envoyez pas de textos, vous êtes insensible aux merveilles des ordinateurs et des iPad, vous n’existez pas, mais le pire blasphème, c’est que vous n’allez même pas au cinéma. Vous plaignez sincèrement les somnambules du Festival de Cannes. Vous ne lisez pas sur tablette, vous êtes un drogué du papier, et la preuve, c’est que vous restez enfantinement en extase devant des mots imprimés. Ceux-ci, par exemple, de Jules Verne1, dans Vingt Mille Lieues sous les mers, qui vient d’être réédité en Pléiade. « Je vois encore la pose du capitaine Nemo. Replié sur lui-même, il attendait avec un admirable sang-froid le formidable squale, et lorsque celui-ci se précipita sur lui, le capitaine, se jetant de côté avec une prestesse prodigieuse, évita le choc et lui enfonça son poignard dans le ventre. Mais tout n’était pas dit. Un combat terrible s’engagea. »

Non, non, pas de film, des mots, et encore des mots, plus puissants que les images : « Le requin avait rugi, pour ainsi dire. Le sang sortait à flots de ses blessures. La mer se teignit de rouge, et, à travers ce liquide opaque, je ne vis plus rien. Plus rien, jusqu’au moment où, dans une éclaircie, j’aperçus l’audacieux capitaine, cramponné à l’une des nageoires de l’animal, luttant corps à corps avec le monstre, labourant de coups de poignard le ventre de son ennemi, sans pouvoir toutefois porter le coup définitif, c’est-à-dire l’atteindre en plein cœur. Le squale, se débattant, agitait la masse des eaux avec furie, et leur remous menaçait de me renverser. » Voilà l’arrivée inattendue du capitaine Nemo et de sa mer rouge sur la Croisette. Inutile de dire qu’il obtient tout de suite le Requin d’or.

1-Jules Verne, Voyages extraordinaires. La Pléiade, Gallimard, 2012.

Philippe Sollers
Mon journal du mois
Le Journal du Dimanche n°3411, du dimanche 27 mai 2012.

 

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11 décembre 2011

la passion de la liberté

Classé sous Non classé — sollers @ 13:2

Leurro

Finalement, cet euro n’est-il pas un leurre ? Nous courons après dans un tourbillon, mais j’aimerais savoir qui manipule le leurre et l’argent du leurre. Vous avez sans doute remarqué que nous sommes désormais 7 milliards d’habitants sur cette planète. Comme il y a plus d’un milliard de Chinois en pleine expansion économique rapide, il était fatal que l’euro en crise aille chercher de l’aide de ce côté-là. On assiste alors à des indignations diverses, surtout à gauche. Un vieux socialiste déclare que traiter avec les Chinois est une capitulation digne de « Munich ». Ces Chinois sont inquiétants, bien sûr, mais les comparer à Hitler frôle quand même la démence. Un pas de plus, et tous les vieux clichés racistes seront de retour, « péril jaune » compris.

Qui va sauver l’euro et l’Europe ? Qui nous protégera de la dictature des marchés ? Obama ? Certes, on l’a vu en idylle rapprochée avec Sarkozy, mais cette lune de miel durera-t-elle ? Le dollar n’est-il pas foncièrement jaloux de l’euro ? Leurro pour leurro, j’admire la parade qui consiste à nommer des techniciens de l’opacité financière au poste de commandement. L’Italie et l’Espagne viennent ainsi de retomber entre les mains des jésuites, Monti et Rajoy étant deux élèves surdoués de la Compagnie.
La rigueur étant à l’ordre du jour, elle va s’aggraver dans des proportions encore inconnues pour la France et son triple A problématique. Heureusement, le futur président Hollande a déclaré : « Je veux donner un sens à la rigueur.» Noble programme, qui me rassure pleinement, moi et mes modestes leurros. Je compte sur Hollande pour me préserver des Chinois.

La Corrèze, voilà l’avenir : là, au moins, dans la France profonde, tout le monde est normal.

Baisers

Je ne comprends pas les réactions frileuses au sujet de la campagne photographique de Benetton. Elle choque sans doute des cathos arriérés qui, de façon pathétique, manifestent, avec bougies, devant des théâtres ou des cinémas. Mais Benoît XVI n’est pas mal du tout dans son étreinte avec un imam. Après tout, ils ont le même Dieu, à quelques variantes près. Du moment qu’on ne voit pas le pape enlacé avec le dalaï-lama, les Chinois se tiendront tranquilles. Mais je propose d’autres images. Angela Merkel s’embrassant elle-même serait une bonne idée.

Pour une campagne hexagonale, on peut révéler brusquement des affinités électives, des solidarités cachées. Une photo bouche à bouche de Sarkozy et Hollande s’impose. Je vois bien un baiser de paix entre DSK et Nafissatou Diallo. Autres propositions : Eva Joly se jetant sur Marine Le Pen, Montebourg sur Christine Lagarde, Mélenchon sur Cécile Duflot, Manuel Valls sur Jean-François Copé, Bayrou sur Claude Guéant, Moscovici sur Carla Bruni. Plus fort encore : un plan Atlantique avec Juppé, maire de Bordeaux, roulant un patin à Ségolène Royal, future députée de La Rochelle. Ou alors, carrément, un plan western hard : Cohn- Bendit et Nadine Morano.

Viols

Des massacres quotidiens en Syrie, des émeutes sanglantes en Égypte, considérez votre chance de vivre dans une niche fiscale, même rabotée, puisqu’il faut bien que les populations s’habituent à payer les extravagances des banques. La Corrèze est mystérieusement protégée de ce qui devient un problème national : viols à répétition, avec meurtres hallucinants des jeunes générations, fillette poignardée, jeune fille violentée et brûlée en forêt. Rien de plus sinistre que ces « marches blanches » dans les villages touchés par cette irruption de folie furieuse.

À côté de ces symptômes tragiques, les incartades plus ou moins glauques de DSK, ont l’air de lourdes plaisanteries. Le plus curieux est qu’il ait eu besoin de partenaires masculins pour ses « parties fines » (curieuse expression des médias à propos d’une absence flagrante de finesse). Cependant, tout s’arrange : DSK est en Israël, il se laisse pousser la barbe, une illumination divine serait bienvenue. Je renonce à mon projet initial de lui servir de nègre pour ses Mémoires érotiques, avec une longue introduction sur les particularités de la sexualité socialiste (Hollande, qui veut ressembler à Mitterrand, n’est visiblement pas au courant du sujet). Alors quoi ? Ma conversion ne serait pas un mauvais titre. Je l’enregistre à Jérusalem, je brode un peu, je montre ma science biblique, et DSK sort de son bourbier par le haut. Le voilà guéri et remis en selle, avec un plan tout neuf pour le sauvetage du leurro.

Éducation

Il est urgent d’instituer, dans tous les lycées et collèges, des cours de goût. Ils seront obligatoires, comme ceux du catéchisme autrefois. Les jeunes gens et les jeunes filles y seront appelés à se respecter, et tout simplement à se regarder et à s’écouter. La diminution des viols deviendra évidente. Programme : le lundi, architecture, le mardi, peinture, le mercredi, musique, le jeudi, sculpture, le vendredi, littérature. Chaque élève devra savoir réciter par cœur deux ou trois fables de La Fontaine, et quatre poèmes de Baudelaire tirés des Fleurs du mal. Exemple : « Mais le vert paradis des amours enfantines,/Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,/Les violons vibrant derrière les collines,/Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets…» Etc.

Livre à lire et à relire : Histoire de ma vie, de Casanova1. Chaque élève devra réciter ce paragraphe : « Le tempérament sanguin me rendit très sensible aux attraits de toute volupté, toujours joyeux, et toujours empressé de passer d’une jouissance à l’autre, et ingénieux à les inventer. »  Et aussi : « En me rappelant les plaisirs que j’ai eus, j’en jouis une seconde fois, et je ris des peines que j’ai endurées et que je ne sens plus. Membre de l’univers, je parle à l’air, et je me figure rendre compte de ma gestion, comme un maître d’hôtel le rend à son maître avant de disparaître.»

On ne tiendra aucun compte des protestations intempestives des parents d’élèves. Les projections de reproductions de Fragonard, Manet, Picasso, auront un succès fou. Quant à vous, vous devez, séance tenante, vous procurer le catalogue somptueux de l’exposition « Casanova, la passion de la liberté » à la Bibliothèque nationale. Il coûte seulement 49 leurros. C’est pour rien.

1-   Casanova l’admirable, Folio n° 3318.

Philippe Sollers
Mon journal du mois
Le Journal du Dimanche3480, du 27 novembre 2011

 

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