SOLLERS Philippe Blog

21 avril 2013

Mars : Le Saint-Esprit pense à la vitesse de 66 kilomètres par seconde.

Classé sous Non classé — sollers @ 12:2

 

Le Point.fr, le 1er mars 2013.

 

DSK :
Pauvre DSK ! Quelle vie ! Que d’histoires ! On s’attendait presque à le voir trôner au Salon de l’agriculture en tant que trésor animal national. Entouré de porcs, il aurait donné quelques entretiens sur sa vie de cochon sublime. Je ne vois d’ailleurs pas d’autre avenir pour lui : qu’il écrive enfin ses Mémoires, qu’il raconte sa vérité physique, ses aventures multiples, contrastées, incessantes, risquées. Mes sondages sont formels : beaucoup de femmes, même si elles disent parfois le contraire, l’aiment. Au moins, lui, il y croit ! Quel dommage qu’il n’ait pas été élu président de la République ! Les partouzes de l’Élysée auraient électrisé Paris, la France, le monde entier. Je ne lui vois qu’un concurrent sérieux au siècle dernier : Mao, tous les samedis soir, dans son pavillon de la Cité interdite, entouré d’une dizaine de jeunes Chinoises triées sur le volet (pas question d’escort-girls ni de Dodo la Saumure). Non, non, ne me parlez pas de Mitterrand, pas assez socialiste, étroit, méfiant, charentais. Avec DSK, la France remporte, haut la main, le phallus d’or planétaire. Mieux que les Césars, sans parler des Oscars !

 

Otages :
Le chômage s’accroît, mais où sont passés les otages ? Bien sûr qu’il faut négocier avec les islamistes cinglés. Personne n’a envie d’apprendre que sept Français (dont quatre enfants) ont été égorgés au Nigeria. La vidéo diffusée par ces professionnels de la terreur fait froid dans le dos. Allons, allons, faites libérer les prisonniers qui croupissent dans les prisons camerounaises, et n’oubliez pas d’apporter une somme respectable en dollars. Bien entendu, si vous réussissez, vous n’avez rien négocié. Dans le cas contraire, qu’Allah vous pardonne.

 

Italie :
L’Italie politique s’effondre, déstabilise l’Europe, les marchés financiers accusent le coup, l’Espagne crie, le pape s’en va. Est-ce à cause d’un « lobby gay », comme les médias ont envie de le croire ? Pour l’esprit du temps, toutes les religions sont respectables, sauf une : la catholique, c’est-à-dire l’universelle, imbibée de sexe jusqu’à l’os. C’est sa faiblesse, mais aussi sa force : elle fait fantasmer à n’en plus finir. J’en vois même qui reprochent au pape sa démission. Pour ces hypocrites, Benoît XVI devait se conduire en martyr, et sa renonciation serait le signe d’une « défaite catholique ». N’importe quoi.

 

Pape :
Comme dit Pascal (déjà !), « la vérité est si obscurcie en ce temps, et le mensonge si établi, qu’à moins que d’aimer la vérité on ne saurait la connaître. » La vérité, la voici, publiée par le cardinal Joseph Zen, évêque émérite de Hong Kong : « Benoît XVI est un grand pape, un homme amoureux de la vérité… Il a toujours tenu la barre pour tenir le cap selon la vérité. Cela est sa contribution à la culture mondiale, et aussi à la Chine. Ce pape a fait pour la Chine ce qu’il n’a fait pour aucun autre pays : à aucune autre Église particulière il n’a écrit une lettre spécifique, aucun pays n’a une commission spéciale issue des deux plus importants dicastères du Saint-Siège, d’une trentaine de membres, qui lui soit dédiée. » Vous avez compris la suite : les directives de Benoît XVI n’ont pas été suivies par le Vatican, c’est-à-dire par des « conseillers » intérieurs ou extérieurs. C’est, de loin, ce que j’ai lu de plus important sur un sujet qui n’intéresse personne, puisqu’il n’est pas « sexuel ».

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Le Point.fr, 8 mars 2013.

Depardieu :
Parmi les nouvelles tragiques ou cocasses dont la société du spectacle nous inonde quotidiennement, je crois qu’il faut retenir ce projet de film sur DSK, avec Gérard Depardieu en cochon d’or, et Isabelle Adjani en Anne Sinclair. Adjani, depuis New York, se dérobe, on comprend qu’elle n’a plus envie de jouer la mère Courage. Quant à Depardieu, pour revenir au volume de DSK, il faudrait qu’il maigrisse d’au moins cinquante kilos. Le voir embrasser Poutine, brandir son passeport russe, danser, de façon obscène et ravie, avec l’assassin Kadyrov, est un vrai plaisir. Nul doute, il aurait fasciné Staline, de nouveau très à la mode en Russie, et l’inoubliable « Petit Père des peuples » l’aurait nommé maréchal d’honneur.

« Moi » :
Je suis donc particulièrement inquiet quand j’apprends que, sur France Culture, Depardieu a fait la déclaration suivante : « Quand j’entends parler Philippe Sollers, je ne comprends rien à ce qu’il dit. Il a un culte du moi tellement irrespirable qu’on n’a qu’une envie, c’est de ne pas écouter. » Depardieu n’est pas seulement poutinien, il est aussi sarkozyste. Si Sarkozy revient (comme il semble en avoir l’intention, devant la chute catastrophique de Hollande dans les sondages), je peux donc disparaître d’un seul coup en étant accusé de culte de la personnalité (la mienne). Accusation d’ailleurs pleinement méritée, mais comment se défendre devant des juges qui ne comprennent rien à ce que vous dites ? Depardieu ajoute d’ailleurs (circonstance aggravante pour le poète bordelais que je suis) : « Le vin, on n’en parle pas, on le boit. » À ta santé, camarade !

Rome :
Les cardinaux rassemblés avant le conclave veulent des informations. Certains les auront, d’autres non. On parle beaucoup de ce rapport secret de 600 pages remis à Benoît XVI avant sa démission par trois cardinaux enquêteurs 007. Le pape émérite, dans sa retraite, a laissé savoir qu’il dormait très bien et qu’il avait recommencé à jouer Mozart au piano. Les choses sont simples : le candidat voulu par Mozart, c’est-à-dire par le Saint-Esprit, sera élu. Qui tient la corde ? Les bookmakers jouent Angelo Scola, ce qui n’est pas exclu. Dois-je avouer mon faible soudain pour le Philippin Tagle, pur produit des Jésuites et dont la mère est chinoise ? Son handicap est d’être jeune, mais il a toute l’Asie derrière lui.

Casanova :
Bientôt, à Venise, une rencontre au sommet au palais des Doges :Olympia de Manet et La Vénus d’Urbino de Titien. Je vous raconterai. Pour l’instant, procurez-vous le premier volume de l’Histoire de ma vie, de Casanova, en Pléiade. On ne sait pas assez que Casanova et Mozart se sont rencontrés en 1787, à Prague, pour la représentation de Don Giovanni. « Cultiver les plaisirs de mes sens fut, dans toute ma vie, ma principale affaire ; je n’en ai jamais eu de plus importante. Me sentant né pour le sexe différent du mien, je l’ai toujours aimé, et je m’en suis fait aimer tant que j’ai pu. J’ai aussi aimé la bonne table avec transport, et passionnément tous les objets faits pour exciter la curiosité. » Ça, c’est Casanova. Et voici Mozart : « Vive les femmes, vive le bon vin, soutien et gloire de l’humanité ! » Comme quoi le vin n’est pas seulement à boire, mais aussi à chanter.

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Le Point.fr, 15 mars 2013.

François :
Vive le nouveau pape argentin François ! Et vive la Compagnie de Jésus dont il est issu ! Ce premier pape jésuite de 76 ans, appelé, comme il l’a dit lui-même, « du bout du monde », fait basculer l’Église catholique dans une renaissance inattendue. Voyez comment, dans un grand silence, il a obligé à prier toute une foule à Rome. À ce moment-là, il ressemblait à Jean XXIII : même humilité, même simplicité redoutable.

 

Fumée :
Le plus étonnant, ces jours derniers, aura été, en pleine tempête de neige, avec autoroutes bloquées et familles enfermées dans leur voiture (on en a oublié le voyage du président à Dijon), de voir, dans un coin, les caméras du monde entier fixées sur la cheminée de la chapelle Sixtine. Le spectacle mondial prenant une leçon d’économie ! Un milliard deux cents millions de catholiques en attente ! Fumée noire, fumée blanche ? Les commentateurs, qui se sont tous trompés dans leurs pronostics, ont été épatants : cette Église n’est-elle pas archaïque, anachronique, et ses rites pompeux, comme son conclave, ne sont-ils pas à éliminer dans une époque de communication démocratique ? Et le mariage homosexuel, le mariage des prêtres, l’ordination des femmes, la pédophilie rampante, la transparence financière ? Ces cardinaux millénaires se cachent derrière un écran de fumée, et leur artiste surplombant, Michel-Ange, n’est même pas digne d’une exposition d’art contemporain. C’est trop, beaucoup trop, toutes ces vieilleries télévisées nous assomment. Et maintenant, un pape argentin favorable aux pauvres ! Attention, malgré son côté très conservateur, c’est peut-être un marxiste masqué.

 

Femen :
Personne ne s’attendait à ce déferlement de militantes ukrainiennes, torse nu, tatouages provocants, « In gay we trust », « No more pope ». Leur combat scandalise les dévots, ce en quoi ils ont tort. Une cinquantaine de « Femen » hurlantes font plus pour le rétablissement de l’ordre et de la religion que mille sermons. Le mot « femen » n’a d’ailleurs rien de féminin, puisqu’il vient du latin et signifie « cuisse », ou, plus exactement, « fémur ». Des femmes comme des fémurs, ça vous fait une drôle de jambe, mais elles sont peut-être sorties en direct de la cuisse de Jupiter. Leur militantisme physique m’enchante. Beaucoup mieux que la Française Raphaella qui prétendait témoigner de son expérience de mère porteuse, avant que sa propre mère la traite de mythomane. Dommage, j’étais prêt à investir sur son prénom virginal et son doux regard.

Marx :
Vous voulez une surprise de taille ? Ouvrez ce petit livre : Karl et Jenny Marx, Lettres d’amour et de combat, publié dans l’excellente collection Rivages Poche. La femme de Marx, Jenny von Westphalen, lui écrit en 1841 : « Petit sanglier, comme je me réjouis de savoir que tu es heureux, que ma lettre t’a fait plaisir, que tu te languis de moi, que tu loges dans des pièces tapissées, que tu as bu du champagne à Cologne, et qu’il y a là-bas des clubs Hegel, que tu as rêvé, bref, que tu es mon chéri à moi, mon petit sanglier.» Le sanglier, qui signe souvent « Le Maure » (c’était son surnom, à cause de son teint brun, et il se compare lui-même à Othello, le Maure de Venise), lui répond, en 1856, depuis Manchester, sur ce ton : « Mon coeur chéri, il y a effectivement bien des femmes dans le monde, et quelques-unes d’entre elles sont belles. Mais où trouverais-je un visage où chaque trait, chaque pli même, réveille les souvenirs les plus grandioses et les plus doux de ma vie ? » Bref, ces deux-là se sont beaucoup aimés, malgré des ennuis et des persécutions policières de tous ordres. Jenny, comme son mari, aura été marxiste comme personne. Avec le temps, contre toute attente et en secret, le pape François les bénit.

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 Le Point.fr, 29 mars 2013.

Papes :
Qu’est-ce que Benoît XVI a pu raconter à François, le nouveau pape jésuite inattendu, pendant leurs 45 minutes en tête à tête à Castelgandolfo ? Lui a-t-il remis le rapport des cardinaux 007 sur le lobby homosexuel du Vatican ? Ont-ils évoqué ensemble les vertiges financiers à traiter de toute urgence ? Leur prière, agenouillés côte à côte comme deux vieux enfants, a-t-elle été reçue clairement par le Saint-Esprit ? Voilà un roman qui va bien au-delà de tout ce qui a pu s’imaginer jusqu’ici. Imaginez le déjeuner qui a suivi : allusions, demi-mots, silences, omissions, changements de ton, insistances, distances. Cet enregistrement vaut de l’or, et n’est pas négociable. D’ailleurs, le son est brouillé, on ne comprend rien.


Manif :
Sarkozy a-t-il pu abuser de la faiblesse d’une vieille femme ? Un juge le suppose, ce qui produit un effarement général. Un président de la République est un citoyen comme les autres, mais quand même, tous ces scandales sapent les institutions, ce qui n’est pas une raison pour abuser des gaz lacrymogènes. Combien de manifestants contre le mariage pour tous ? Une grande armée, en tout cas, dont bien des participants se préoccupaient d’autre chose. Au président Hollande de régler tout ça à la fois, il suffit de laisser couler le temps, les problèmes s’effacent. Je fais confiance au fonctionnement.

Univers :
La vraie grande nouvelle a été rapportée par le satellite européen Planck, avec une photographie de l’Univers à l’âge de 380 000 ans après le big bang. Vous ne vous discernez pas encore dans ce magma plat ? Ça viendra, mais vous avez encore beaucoup à faire pour comprendre ce que sont la matière noire, l’énergie noire, les trous noirs, et autres noirceurs surpuissantes. Vous avez en tête l’âge de l’Univers, la vitesse de la lumière, la vitesse de rotation de la Terre (dont vous ne ressentez rien), vous aurez appris avec satisfaction que les galaxies s’éloignent les unes des autres à la vitesse de 66 kilomètres par seconde. Essayez au moins d’apprécier cet instantané, après quoi, sous la direction des marchés financiers, vous pourrez préparer, dans un lourd souci provincial, les municipales.

Houellebecq :
Debord, trésor national exposé à la BnF, voilà la plus belle démonstration de la dictature du Spectacle. Il paraît que 3 Français sur 4 sont maintenant sérieusement déprimés. Pour preuve, le dernier livre de poèmes de Michel Houellebecq, Configuration du dernier rivage (Flammarion). Le succès de Houellebecq est tout simple : c’est, de loin, le meilleur nihiliste planétaire, un magnifique prédicateur de la mort. « Le chemin se résume à une étendue grise / Sans saveur et sans joie, calmement démoli. » Et puis : « Maintenant je souffre toute la journée, doucement, légèrement, mais avec quelques horribles pointes qui s’enfoncent dans le coeur, imprévisibles et inévitables, un instant je me tords de souffrance, et puis je reviens en claquant des dents à la douleur normale. » Tout cela me bouleverse. Je crois que je vais prier pour Houellebecq le jour de Pâques. On ne sait jamais, ça pourrait agir.

 

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11 décembre 2011

la passion de la liberté

Classé sous Non classé — sollers @ 13:2

Leurro

Finalement, cet euro n’est-il pas un leurre ? Nous courons après dans un tourbillon, mais j’aimerais savoir qui manipule le leurre et l’argent du leurre. Vous avez sans doute remarqué que nous sommes désormais 7 milliards d’habitants sur cette planète. Comme il y a plus d’un milliard de Chinois en pleine expansion économique rapide, il était fatal que l’euro en crise aille chercher de l’aide de ce côté-là. On assiste alors à des indignations diverses, surtout à gauche. Un vieux socialiste déclare que traiter avec les Chinois est une capitulation digne de « Munich ». Ces Chinois sont inquiétants, bien sûr, mais les comparer à Hitler frôle quand même la démence. Un pas de plus, et tous les vieux clichés racistes seront de retour, « péril jaune » compris.

Qui va sauver l’euro et l’Europe ? Qui nous protégera de la dictature des marchés ? Obama ? Certes, on l’a vu en idylle rapprochée avec Sarkozy, mais cette lune de miel durera-t-elle ? Le dollar n’est-il pas foncièrement jaloux de l’euro ? Leurro pour leurro, j’admire la parade qui consiste à nommer des techniciens de l’opacité financière au poste de commandement. L’Italie et l’Espagne viennent ainsi de retomber entre les mains des jésuites, Monti et Rajoy étant deux élèves surdoués de la Compagnie.
La rigueur étant à l’ordre du jour, elle va s’aggraver dans des proportions encore inconnues pour la France et son triple A problématique. Heureusement, le futur président Hollande a déclaré : « Je veux donner un sens à la rigueur.» Noble programme, qui me rassure pleinement, moi et mes modestes leurros. Je compte sur Hollande pour me préserver des Chinois.

La Corrèze, voilà l’avenir : là, au moins, dans la France profonde, tout le monde est normal.

Baisers

Je ne comprends pas les réactions frileuses au sujet de la campagne photographique de Benetton. Elle choque sans doute des cathos arriérés qui, de façon pathétique, manifestent, avec bougies, devant des théâtres ou des cinémas. Mais Benoît XVI n’est pas mal du tout dans son étreinte avec un imam. Après tout, ils ont le même Dieu, à quelques variantes près. Du moment qu’on ne voit pas le pape enlacé avec le dalaï-lama, les Chinois se tiendront tranquilles. Mais je propose d’autres images. Angela Merkel s’embrassant elle-même serait une bonne idée.

Pour une campagne hexagonale, on peut révéler brusquement des affinités électives, des solidarités cachées. Une photo bouche à bouche de Sarkozy et Hollande s’impose. Je vois bien un baiser de paix entre DSK et Nafissatou Diallo. Autres propositions : Eva Joly se jetant sur Marine Le Pen, Montebourg sur Christine Lagarde, Mélenchon sur Cécile Duflot, Manuel Valls sur Jean-François Copé, Bayrou sur Claude Guéant, Moscovici sur Carla Bruni. Plus fort encore : un plan Atlantique avec Juppé, maire de Bordeaux, roulant un patin à Ségolène Royal, future députée de La Rochelle. Ou alors, carrément, un plan western hard : Cohn- Bendit et Nadine Morano.

Viols

Des massacres quotidiens en Syrie, des émeutes sanglantes en Égypte, considérez votre chance de vivre dans une niche fiscale, même rabotée, puisqu’il faut bien que les populations s’habituent à payer les extravagances des banques. La Corrèze est mystérieusement protégée de ce qui devient un problème national : viols à répétition, avec meurtres hallucinants des jeunes générations, fillette poignardée, jeune fille violentée et brûlée en forêt. Rien de plus sinistre que ces « marches blanches » dans les villages touchés par cette irruption de folie furieuse.

À côté de ces symptômes tragiques, les incartades plus ou moins glauques de DSK, ont l’air de lourdes plaisanteries. Le plus curieux est qu’il ait eu besoin de partenaires masculins pour ses « parties fines » (curieuse expression des médias à propos d’une absence flagrante de finesse). Cependant, tout s’arrange : DSK est en Israël, il se laisse pousser la barbe, une illumination divine serait bienvenue. Je renonce à mon projet initial de lui servir de nègre pour ses Mémoires érotiques, avec une longue introduction sur les particularités de la sexualité socialiste (Hollande, qui veut ressembler à Mitterrand, n’est visiblement pas au courant du sujet). Alors quoi ? Ma conversion ne serait pas un mauvais titre. Je l’enregistre à Jérusalem, je brode un peu, je montre ma science biblique, et DSK sort de son bourbier par le haut. Le voilà guéri et remis en selle, avec un plan tout neuf pour le sauvetage du leurro.

Éducation

Il est urgent d’instituer, dans tous les lycées et collèges, des cours de goût. Ils seront obligatoires, comme ceux du catéchisme autrefois. Les jeunes gens et les jeunes filles y seront appelés à se respecter, et tout simplement à se regarder et à s’écouter. La diminution des viols deviendra évidente. Programme : le lundi, architecture, le mardi, peinture, le mercredi, musique, le jeudi, sculpture, le vendredi, littérature. Chaque élève devra savoir réciter par cœur deux ou trois fables de La Fontaine, et quatre poèmes de Baudelaire tirés des Fleurs du mal. Exemple : « Mais le vert paradis des amours enfantines,/Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,/Les violons vibrant derrière les collines,/Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets…» Etc.

Livre à lire et à relire : Histoire de ma vie, de Casanova1. Chaque élève devra réciter ce paragraphe : « Le tempérament sanguin me rendit très sensible aux attraits de toute volupté, toujours joyeux, et toujours empressé de passer d’une jouissance à l’autre, et ingénieux à les inventer. »  Et aussi : « En me rappelant les plaisirs que j’ai eus, j’en jouis une seconde fois, et je ris des peines que j’ai endurées et que je ne sens plus. Membre de l’univers, je parle à l’air, et je me figure rendre compte de ma gestion, comme un maître d’hôtel le rend à son maître avant de disparaître.»

On ne tiendra aucun compte des protestations intempestives des parents d’élèves. Les projections de reproductions de Fragonard, Manet, Picasso, auront un succès fou. Quant à vous, vous devez, séance tenante, vous procurer le catalogue somptueux de l’exposition « Casanova, la passion de la liberté » à la Bibliothèque nationale. Il coûte seulement 49 leurros. C’est pour rien.

1-   Casanova l’admirable, Folio n° 3318.

Philippe Sollers
Mon journal du mois
Le Journal du Dimanche3480, du 27 novembre 2011

 

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10 décembre 2011

« Histoire de ma vie »

Classé sous Non classé — sollers @ 12:2

Voilà plus de dix ans que je réclame en vain des fouilles pour retrouver les restes de Casanova, en Bohême. Il est enterré dans une petite église désaffectée, en pleine forêt, non loin du château baroque où il a écrit, treize heures par jour, « Histoire de ma vie ». Une plaque gravée en témoigne, et l’ironie de l’histoire veut qu’elle soit rédigée en allemand : Jakob Casanova, Venedig 1725-Dux 1798.

Allons, un bon mouvement : qu’on retrouve un tibia, un fémur, un radius, un cubitus, un bout de crâne, une dent, qu’importe. Il faut en finir avec la légende tenace et intéressée d’un Casanova mythique qui n’aurait pas existé. Une fois retrouvées, ces traces seront inhumées en grande pompe à Venise, en face du palais ducal, puisqu’il s’est évadé là, par les toits, de la sinistre prison des Plombs (le récit de cette évasion a fait sa fortune dans toute l’Europe).

Ce sera beau : cérémonie solennelle, en présence de tous les corps constitués, armée, police, patriarche, et exécution d’un air de « Don Giovanni » de Mozart, puisque, des documents le prouvent, il a mis la main, en 1787, à Prague, au livret de cet opéra. Pas d’hommes politiques, ce jour-là, pas de mannequins, d’acteurs, d’actrices, de couturiers, de publicitaires, de cinéastes. De la tenue, du sérieux, en hommage à cet aventurier de génie, l’un des plus grands écrivains français de son temps et de tous les temps. Ce Vénitien a écrit sa vie en français? Mais oui, et voilà tout de suite un autre problème.

Au début de 2010, le manuscrit de Casanova (petite écriture serrée et noire) arrive enfin à Paris venant d’Allemagne. Il est offert, moyennant 7,5 millions d’euros, à la Bibliothèque nationale où il est exposé ces jours-ci. L’histoire de ce manuscrit est un roman fantastique. Il paraît d’abord en allemand, puis en français censuré par un universitaire (c’est la version qu’a lue Stendhal), puis intégralement, mais il va falloir établir une version critique définitive en Pléiade. Là encore, longue dissimulation, falsifications, légende. Casanova devient le prototype du séducteur, tout le monde le connaît, mais personne ne l’a lu.

L’extrême vulgarité de notre époque continue à en faire un cliché, genre DSK ou Berlusconi. Vous dites « Casanova » et tout le monde prend un air entendu, la moindre élue socialiste s’indigne. Finalement, le XVIIIe siècle n’en finit pas d’être refoulé dans les têtes, et Balzac avait raison de faire dire à l’un de ses personnages : « Je ne sais rien déplus calomnié dans ce bas monde que Dieu et le XVIIIe siècle. » La liberté de Casanova reste un scandale, et personne ne tient à savoir qu’il a fait plusieurs fois l’éloge de l’inceste entre père et fille. Écoutez ça :
« Je n’ai jamais pu concevoir comment un père pouvait aimer tendrement sa charmante fille sans avoir au moins une fois couché avec elle. Cette impuissance de conception m’a toujours convaincu, et me convaincra encore avec plus de force aujourd’hui que mon esprit et ma matière ne font qu’une seule substance. »

Et il raconte ça, l’animal, parmi bien d’autres aventures qui font rêver, depuis deux siècles, les esprits les plus éveillés. Existent-ils encore ? Peut-être. Il dépense beaucoup son corps, Casanova, et, en même temps, il le pense. C’est un philosophe en action, le contraire d’un assis. Parfois, il force la dose, il tombe malade, il se soigne, il guérit. C’est un alchimiste de lui-même, expert en manipulations diverses, un joueur constant, qui finit par vous dire avec insolence : « Rien ne pourra faire que je ne me sois amus .»

Il tombe souvent amoureux, mais enchaîne les aventures les plus improbables, trompe ceux ou celles qui veulent être trompés, vit sans temps mort, se bat en duel, enchante Voltaire, trouve le temps de traduire «l’Iliade», s’intéresse à des tas de choses étranges. Il a cette formule sublime : « Je déteste la mort, parce qu’elle détruit la raison. » Et encore : « Je sens que je mourrai, mais je veux que ce soit malgré moi: mon consentement sentirait le suicide .»

Comment ne pas être jaloux de Casanova ? Il a tout pour plaire, donc pour déplaire. Cette jalousie inévitable a surtout frappé les metteurs en scène, et c’est normal. Casanova, dont la vie est un film permanent, écrit, est l’anti-cinéma même. D’où un certain nombre de vengeances spectaculaires. Ettore Scola force le pauvre Mastroianni à des contorsions ridicules. Casanova ne peut être que vieux, il est impératif qu’il se traîne comme une mécanique usée et vaguement gâteuse, une loque poudrée et fardée. Mais le comble de la haine amoureuse est ici représenté par Fellini, que Casanova rend fou. Pour Fellini Casanova est « un écrivain ennuyeux, un personnage bruyant, irritant, lâche, un courtisan empanaché qui empeste la sueur et la poudre de riz, un grossier personnage, plein de suffisance et de vantardise, et qui, en plus, veut toujours avoir raison ». Fellini insiste : « La compétition devient impossible, il traduit du latin et du grec, sait tout l’Arioste par coeur, sait les mathématiques, déclame, fait l’acteur, parle très bien le français, a connu Louis XV et la Pompadour. Mais comment peut-on vivre avec un con pareil ?» Bref, Casanova est un « fasciste ».

Oui, vous avez bien lu, un fasciste. Evidemment, nous n’avons pas besoin de consulter le bon docteur Freud pour comprendre que Fellini n’en peut plus de ressentiment physique (son film le montre bien). Et il continue : « J’ai lu Casanova avec une défiance et une rage croissantes, en arrachant les pages : chaque fois que j’avais fini une page, je ne la tournais pas, je la déchirais… L’ennui a été de me plonger à contre-coeur, avec répugnance dans le XVIIIe, et c’est devenu peu à peu une forme de refus total. »

Voilà qui a le mérite d’être franc, et d’illustrer une opinion plus partagée qu’on ne pense. Une telle crise de nerfs à propos de Casanova et de la liberté du XVIIIe siècle est bien là, sans arrêt, à l’état larvé. À outrance, outrance et demie : si Casanova est « fasciste », alors Fellini est un inquisiteur typiquement stalinien. Écoutez bien : l’espèce en est courante, à droite comme à gauche. Insensibilité, manque d’imagination, refoulement, impossibilité de lire… Laissons donc la parole au grand Casanova. Il vient de s’évader, il est libre :

« J’ai alors regardé derrière moi tout le beau canal, et ne voyant pas un seul bateau, admirant la plus belle journée qu’on pût souhaiter, les premiers rayons d’un superbe soleil qui sortait de l’horizon, les deux jeunes barcarols qui ramaient à vogue forcée [ ...], le sentiment s’est emparé de mon âme, qui s’éleva à Dieu miséricordieux secouant les ressorts de ma reconnaissance, m’attendrissant avec une force extraordinaire, et tellement que mes larmes s’ouvrirent soudain le chemin le plus ample pour soulager mon coeur, que la joie excessive étouffait : je sanglotais, je pleurais comme un enfant qu’on mène par force à l’école. »

Voilà, n’est-ce pas, un style fasciste caractéristique. Casanova a-t-il existé et mené une vie fabuleuse ? Oui. Son récit est-il un chef-d’œuvre ? Oui. Il est providentiel que son manuscrit ait survécu à tout. Comme quoi Dieu existe, et privilégie les audaces. Ça alors.

 

Casanova, Le Bel Age. Fragments d’« Histoire de ma vie », Éditions Gallimard, 2011.

 Philippe Sollers
Le Nouvel Observateur n°2454, 17 novembre 2011.

 

 

 

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